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Tous les garçons et les filles de leur âge

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Une jeune fille brune souriante, cheveux longs et yeux sombres, de face, et un jeune homme de profil
Gaël Morel et Élodie Bouchez lors de la présentation du film Les Roseaux sauvages à la section Un certain regard du festival de Cannes 1994.

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Tous les garçons et les filles de leur âge… est une collection de neuf téléfilms sur l'adolescence réalisés par neuf cinéastes différents (André Téchiné, Chantal Akerman, Claire Denis, Olivier Assayas, Laurence Ferreira Barbosa, Patricia Mazuy, Émilie Deleuze, Cédric Kahn et Olivier Dahan) commanditée par la chaîne Arte et diffusée au dernier trimestre 1994. Les téléfilms sont réalisés avec un budget modeste et doivent répondre à une série de contraintes précises, mêmes si une grande liberté artistique est laissée aux réalisateurs. Ils se déroulent à des époques différentes entre les années 1960 et les années 1990 et doivent tous utiliser la musique rock de l'époque traitée.

Le thème de l'adolescence, la légèreté des tournages, le fait de devoir filmer de jeunes acteurs souvent inconnus a fait que les réalisateurs, souvent déjà reconnus artistiquement, ont tenu à réussir ces œuvres de commande. Le fait de tourner pour la télévision à même donné une sentiment de liberté supplémentaire à certains d'entre eux. Trois films de cette série sont sortis en salle en version longue durant l'été 1994, ceux réalisés par André Téchiné, primé de nombreuses fois aux Césars, Olivier Assayas et Cédric Kahn, ces deux derniers au terme d'un affrontement entre Arte et la production extérieure des films.

Cette collection, louée par la critique, a marqué un renouveau dans le cinéma français de l'époque et a lancé une nouvelle génération d'acteurs. Elle montre une image de la jeunesse plus authentique et souvent plus douloureuse que beaucoup de films qui traitent de l'adolescence, et permet une vision de l'évolution de la société française sur trente ans.

Genèse

L'idée de la série vient à Chantal Poupaud, à l'époque ancienne attachée de presse spécialisée dans le cinéma d'auteur[n 1] en 1990, un an avant la création d'Arte. Elle retrouve ses propres souvenirs d'adolescence en regardant ses deux fils, l'un[n 2], âgé de 14 ans qui entre dans l'adolescence, l'autre[n 3] qui à 18 ans commence à en sortir. Elle se fait la réflexion que le fait d'être adolescent à quelque époque que ce soit est toujours la même chose, même si le contexte est différent[2]. Elle a alors l'idée d'une série de films sur l'adolescence, incluant tous une scène de fête, qui seraient commandés à divers réalisateurs ; elle souhaite en particulier retrouver « cette notion de première fois » qui n'existe qu'à cette période de la vie[3].

L'année suivante, Chantal Poupaud rencontre le producteur Robert Benayoun, de IMA productions et Pierre Chevalier de La Sept-Arte et leur fait part de ce projet[2]. Pierre Chevalier est responsable à Arte de l'unité fiction[n 4]. Venant du CNC, il cherche à apporter un « supplément d'âme » à la fiction en y amenant des cinéastes confirmés ou en faisant travailler des débutants[4]. Il est séduit par la simplicité et l'ouverture d'esprit du projet[3] qu'il voit comme une collection au sens littéraire du terme : « une opération de bande, avec un langage collectif en forme de manifeste[5]. » Il décide d'y investir « le maximum » possible financièrement, c'est-à-dire 2,2 millions de francs par film sur le budget total annuel de 80 millions de francs de son unité pour les coproductions et les achats[4].

Contraintes de la commande

ruban de pellicule marron, avec des cadres noir et une seule perforation par cadre sur la gauche.
Film Super 16

Si, dans plusieurs articles de presse, il est employé le mot « série » à propos de Tous les garçons et les filles de leur âge... il ne s'agit pas d'une série télévisée au sens le plus courant du terme : chaque histoire est totalement indépendante de celle qui la précède et de celle qui la suit, il n'y a pas de personnages qu'on retrouverait d'un film à l'autre. Néanmoins on peut considérer qu'il s'agit d'une série d'anthologie puisque tous les films traitent d'un même thème, et qu'il s'agit d'épisodes puisque ce thème est décliné dans le temps[6].

Tous les téléfilms doivent respecter les mêmes contraintes :

  • Chaque épisode dure environ une heure[7].
  • Le thème des films est l'adolescence[2].
  • Chaque cinéaste choisit le début, le milieu ou la fin d'une décennie entre 1960 et 1990[7].
  • Chaque film contient une scène de fête, en utilisant la musique rock de l'époque[7].
  • La série a un coût d'environ 5,4 millions de francs par film[3], dont 2,2 millions amenés par Arte.
  • La durée de tournage est de 18 à 23 jours[3].
  • Les films sont tournés en Super 16[2].

L'obligation d'utiliser la musique rock compense l'absence de héros récurrent en donnant un point commun aux films. Cette musique les relie aussi à leur époque[2]. Cette contrainte ne grève pas les budgets des films car les droits musicaux à la télévision se règlent par forfait[8] et non au cas par cas comme au cinéma ; en outre Sony Music Entertainment (France) est un des sponsors de la série[9]. Par ailleurs, le rock est très directement lié à l'univers adolescent[10] : il permet aux jeunes de sortir de la famille, de montrer une opposition à l'ordre établi, « de manifester leur violence ou leur rage[2]. » C'est d'ailleurs la possibilité d'utiliser la musique de sa jeunesse qui a décidé Claire Denis à réaliser US Go Home : si elle a hésité à accepter la commande, notamment parce qu'elle détestait les fêtes durant son adolescence, elle a été enthousiasmée et convaincue par l'idée de pouvoir utiliser les morceaux qu'elle écoutait : « adolescente, mon électrophone et mes disques, c'était mon secret. J'écoutais seule dans ma chambre The Animals, les Yardbirds, Ronnie Bird. La perspective d'utiliser leurs chansons a été une puissante motivation[3]. »

Choix des cinéastes

Plan poitrine d’un homme de 65 ans, cheveux gris courts, yeux fins et sombres, en smoking
André Téchiné en 2008, le cinéaste le plus expérimenté du groupe de réalisateurs.

Les réalisateurs de cette série sont à des stades divers de leur carrière : aussi bien des cinéastes installés et reconnus (Téchiné, Akerman, Assayas, Denis), de jeunes auteurs de premiers films remarqués (Kahn, Ferreira Barbosa, Mazuy) et des « bizuts qui n'ont quelques courts métrages sous la ceinture[10] » (ce sont les premiers long-métrages d'Émilie Deleuze et d'Olivier Dahan). Néanmoins, à la première réunion où se rend André Téchiné, d'autres cinéastes expérimentés sont présents : Jacques Doillon, Philippe Garrel et Jean-Claude Brisseau. Garrel et Brisseau se retirent par la suite du projet, et Jacques Doillon réalise son film directement pour le cinéma (il s'agit du Jeune Werther)[11]. Chantal Poupaud souhaite que les origines géographiques et sociales de ces réalisateurs soient différentes pour que les films soient les plus variés possibles[3]. La sélection respecte aussi un équilibre homme/femme : cinq réalisatrices pour quatre réalisateurs[12]. Tous les cinéastes ne sont pas approchés en même temps : si Patricia Mazuy est par exemple contactée dès le début de l'année 1991 (et accepte car elle trouve que « ça [peut] être rigolo[13] »), Laurence Ferreira Barbosa n'arrive qu'alors que tout est déjà assez avancé. Elle peut voir le film de Cédric Kahn et lire les résumés de plusieurs des autres avant d'écrire le sien, devant le mener à bien entièrement en cinq mois, de l'écriture à la post-production[14].

À la surprise de Chantal Poupaud qui pense que les contraintes, d'autres projets en cours ou le manque d'envie de se confronter aux autres cinéastes les freineraient, la plupart des réalisateurs ne sont pas difficiles à convaincre[2]. Il semble que le thème de l'adolescence les motive car il fait appel à leurs souvenirs[3]. André Téchiné se déclare heureux de « pouvoir répondre à une commande qui corresponde à [son] désir », ce qu'il juge rare. Il choisit de faire un film sur les années 60 car ce sont celles de sa propre adolescence[n 5] et il souhaite depuis longtemps réaliser un film sur la Guerre d'Algérie[11]. Pour Olivier Assayas, la période de l'après 1968 que lui propose de traiter Chantal Poupaud est si importante pour lui qu'elle reviendra dans sa carrière : avec son livre Une adolescence dans l’après-Mai, adapté par la suite dans le film Après mai[15].

La sélection de cinéastes est variée, mais elle se base sur des critères qualitatifs. Le journal L'Humanité soulignera qu'elle contient « une partie non négligeable des meilleurs auteurs du cinéma français contemporain[12]. » Patricia Mazuy et Cédric Kahn, même s'ils ont chacun réalisé un premier film remarqué par la critique (Peaux de vaches pour Mazuy et Bar des rails pour Kahn) sont des cinéastes en situation d'échec commercial[4]. Pierre Chevalier estime qu'il est d'autant plus facile de travailler avec eux qu'Arte est presque seule à vouloir le faire[4]. Il revendique ce choix car il considère qu'il doit prendre des risques. Il estime en effet que son destin à la tête de l'Unité fiction de la chaîne est « dans la chute » : ce travail n'aura qu'un temps il devra fatalement partir un jour et « passer à autre chose. » Il souhaite alors profiter de la grande liberté dont il jouit à ce poste pour faire des choix de production forts et aider la carrière de nouveaux réalisateurs en qui il croit[4].

Cédric Kahn commence néanmoins par refuser l'offre d'Arte. Il juge la contrainte de faire un film avec des jeunes trop proche de son premier film, Bar des rails, qui parlait déjà d'adolescents[16]. Il se décide finalement parce qu'il regrette qu'il y ait peu de personnages féminins dans son premier film et qu'il trouve vite un argument (« deux filles et deux garçons, les deux filles aiment le même garçon, les deux garçons aiment la même fille ») qui lui permet d'évoquer une plus grande variété de sentiments et d'émotions que son premier film[16].

Téléfilms









Fiche technique

Chaque réalisateur étant libre de choisir son équipe, il n'y a pas, sauf de rares exceptions[n 6], d'acteur ou de technicien qui travaille sur plusieurs épisodes.

Production

Écriture des scénarios

Une rivière entourée d'arbres verdoyant dans laquelle se reflètent le ciel bleu et les nuages
André Téchiné a accepté cette commande car il souhaitait tourner de nouveau une scène de baignade.

Le thème de l'adolescence semble faciliter l'écriture des films. Les Cahiers du cinéma le qualifient de « sujet de rédaction assez classique et suffisamment élémentaire pour faire oublier toutes les crises de scénario (« racontez vos surprises-parties », une bonne petite madeleine)[8]. » Laurence Ferreira Barbosa explique que faire un film sur des adolescents se déroulant lorsqu'elle était elle-même adolescente est « facile et plaisant[14]. » Le scénario des Roseaux sauvages est celui de ses scénarios qu'André Téchiné a écrit le plus rapidement : d'abord une version de 55 minutes rédigée en cinq jours, puis le long métrage en deux semaines de plus[11]. Olivier Assayas est le seul à déclarer avoir eu des difficultés d'écriture : après une période très enthousiaste où il collectionne les anecdotes sur son adolescence, il se sent « au pied du mur » lorsqu'il s'agit d'écrire véritablement le scénario, gêné par la complaisance qu'il y a dans l'écriture autobiographique[18]. Il décide finalement de garder quelques éléments directement inspirés de sa jeunesse, mais de suivre avant tout ses personnages, en s'appuyant sur cette période qu'il a « vécue et aimée[18]. »

Plusieurs réalisateurs profitent de cette occasion pour essayer quelque chose qu'ils n'ont jamais expérimenté, ou qui ne les avait pas satisfaits dans leur film précédent. C'est parce que son premier film, Les gens normaux n'ont rien d'exceptionnel, avait pour personnage principal une femme que Laurence Ferreira Barbosa décide de raconter une histoire mettant en scène des garçons[14]. André Téchiné cherche dans Les Roseaux sauvages à mieux filmer des jeunes gens et à tourner de nouveau une séquence de baignade, choses qu'il juge ne pas avoir réussies dans son précédent film, Ma saison préférée[11]. Olivier Assayas sort de l'échec public du film Une nouvelle vie, qui lui impose de renouveler son cinéma en osant davantage[15]. Cédric Kahn souhaite en réalisant Trop de bonheur faire un film « contre Bar des rails », sa première œuvre, « avec l'impératif absolu de ne pas souffrir[19]. »

Les contraintes de la commande laissent une certaine liberté d'adaptation aux cinéastes. L'obligation d'inclure une scène de fête est ainsi le témoin de la singularité de chacun[10] : cela va d'André Téchiné, qui l'avait oubliée et a doit la rajouter à la demande de Chantal Poupaud une fois le scénario terminé[11] (il en « expédie l'affaire en trois plans[10] ») à Emilie Deleuze dont la fête constitue l'essentiel du film[10]. De même pour la musique : Claire Denis n'a accepté cette commande que motivée par l'idée d'utiliser les morceaux musicaux qu'elle écoutait adolescente[3], le film d'Olivier Dahan est très influencé par le rap tandis que Les Roseaux sauvages n'utilise que quelques morceaux de yéyé dont son réalisateur semble se désintéresser[10]. La musique est un élément à part entière du scénario pour certains : la séquence de fête de l’Eau froide, qui dure plus de la moitié du film, a été écrite en fonction des choix musicaux d'Olivier Assayas. Il savait dès l'écriture qu'elle commencerait sur Me and Bobby McGee de Janis Joplin, qu'elle connaitrait « un moment d'exaltation » avec un morceau de Creedence Clearwater Revival et se finirait sur Janitor of Lunacy de Nico[18]. La dramaturgie de la séquence vient de la musique, les morceaux sont diffusés en entier « afin qu'ils aient le temps d'exister en tant que tels[18]. » Chez Patricia Mazuy la séquence de fête dure 25 minutes de musique « non-stop » sans séquences à l'extérieur qui permettraient d'atténuer le niveau sonore[13]. Les morceaux ont été choisis pour correspondre à l'état d'esprit des personnages au moment où ils les entendent : une chanson de Nina Hagen vient casser l'aspect réaliste du début du film et imposer un sentiment étrange, tandis que les Clash à la fin donnent l'idée d'une « histoire d'amour insurrectionnelle »[13].

Casting

Jeune femme en robe blanche, longs cheveux brun, yeux sombres en amande, qui sourit en se mordant la lèvre, l'air rieur
Virginie Ledoyen en 2000.

Le faible budget de ces films interdit aux réalisateurs d'engager des acteurs connus[4] et comme les personnages principaux sont des adolescents, la plupart des acteurs sont débutants. Cédric Kahn et Olivier Assayas, souligneront la forte motivation de leurs acteurs non professionnels. Ceux de Trop de bonheur, que Kahn tenait à ne tourner qu'avec des amateurs « trouvés à droite, à gauche, dans la rue, dans des bars », sont ponctuels, ne se plaignent jamais et sont animés d'une véritable envie de jouer[19]. Le réalisateur s'étonne même de leur capacité à s'adapter à un tournage avec professionnalisme et de leur instinct pour interpréter et faire évoluer une scène[20]. De même Olivier Assayas insiste sur la générosité et l'intérêt dont ont fait preuve ses jeunes acteurs « sans velléité de carrière[18]. » Il a craint d'avoir du mal à régler les scènes avec eux, de devoir tout leur expliquer parce qu'ils ne sauraient par exemple pas comment se placer par rapport à la lumière mais le fait de tourner avec une caméra légère lui a permis de simplement laisser ses acteurs libres et de s'adapter à eux[18].

Ces non-professionnels sont mélangés à de jeunes acteurs peu connus. Olivier Assayas hésite un temps à engager Virginie Ledoyen pour L'Eau froide, d'une part parce qu'elle est « plus jolie » que ce qu'il imagine pour son personnage d'autre part aussi car elle est déjà actrice[n 7]. Il est finalement convaincu par sa maturité et son caractère qui le convainquent qu'elle est plus le personnage que toutes les autres jeunes filles qu'il a vues pour ce rôle[18]. Dans Travolta et moi, le rôle principal est tenu par Leslie Azzoulai qui a déjà joué dans le Van Gogh de Maurice Pialat où elle interprétait Adeline Ravoux[21]. C'est dans ce film que Patricia Mazuy l'a remarquée et appréciée[22], la choisissant pour « sa force intérieure » et « sa violence presque agressive[13]. » Son partenaire dans le film est au contraire un amateur, Julien Gérin, qui venait faire de la figuration sur le tournage[13]. Assez mauvais acteur au départ, très réfléchi et peu intuitif, il s'améliore au fur et à mesure du casting[13]. Pour US Go Home, comme il sait que Claire Denis recherche des amateurs, Grégoire Colin fait volontairement une très mauvaise prestation car il est déjà professionnel[n 8] et souhaite le cacher. Cependant celle qui sera sa partenaire, Alice Houry, se rend compte qu'il feint de mal jouer et incite à le prendre comme acteur[23]. La réalisatrice déclarera en 2010 que dès les essais une alchimie s'est mise en place entre Grégoire Colin et l'équipe créant une émulation qui a duré durant tout le tournage. Si elle a tourné par la suite Nénette et Boni avec les mêmes acteurs, c'est pour retrouver le charme qui se dégageait de leur présence[23].

Il n'est pas forcément simple de mélanger des acteurs débutants à ceux qui ont déjà un peu d'expérience. Dans le film de Cédric Kahn, Caroline Trousselard, qui fera par la suite carrière sous le nom de Caroline Ducey, est la seule du casting à avoir fait un peu de théâtre auparavant. Elle se sent un peu moins naturelle que les autres. Ce n'est néanmoins pas une gêne pour le réalisateur car le personnage qu'elle incarne dans Bonheur est justement un peu décalé par rapport au reste des personnages du film, plus « bourgeois[20]. »

Tournages

caméra 16mm
Une caméra 16mm.

Le projet est d'abord prévu pour début 1994, mais il est repoussé pour une diffusion au dernier trimestre de l'année[3]. L'engagement d'André Téchiné est déterminant, car il s'agit, à l'époque, du cinéaste le plus reconnu du groupe. Plus libre que les autres réalisateurs souvent engagés sur d'autres films à ce moment-là, Patricia Mazuy est la première à tourner, à une époque où il n'est pas encore certain que la série arrive à se faire[13]. Son film Travolta et moi est sélectionné au Festival de Locarno 1993 où il obtient un Léopard de bronze[24], ce qui donne enfin à la collection une existence concrète[3]. Les deux derniers films tournés sont ceux de Laurence Feirrera Barbosa, au mois de mai 1994, et de Claire Denis, fin juin de la même année[5].

Le cadre 1,66:1, large de 1,66 pour 1 de hauteur ; le cadre Cinémascope, 2,35 de large pour pour 1 de hauteur
Le cadre 1,66:1, celui de tous les films de la série, et le cadre CinémaScope auquel est plus habitué André Téchiné.

Parmi les obligations du cahier des charges l'une des plus lourde est la contrainte financière, « draconienne », selon Pierre Chevalier, les budgets étant « dérisoires » par rapport à ceux du cinéma[4]. Les tournages semblent pourtant assez heureux. Pierre Chevalier souligne « [l']énergie folle » que les réalisateurs, techniciens et acteurs mettent en œuvre sur ces films, précisant que si Arte n'est pas considérée comme une chaîne populaire, « eux ont travaillé à la manière du peuple[3]. » Cette contrainte financière ne pose néanmoins aucun soucis à certains des plus jeunes réalisateurs, comme Laurence Ferreira Barbosa dont le précédent film avait déjà un petit budget[14]. Le temps de tournage court (18 à 23 jours) n'est pas non plus vu comme un handicap par Cédric Kahn qui dit aimer travailler vite afin de maintenir ses comédiens « dans un état de tension[20]. ». Il évoque celui de Trop de Bonheur comme une expérience « gracieuse[20]. »

L'utilisation du 16 mm inquiète d'abord André Téchiné, plus habitué au CinemaScope qui permet d'écarter les personnages les uns des autres dans le cadre, et donc de filmer « la distance qui les sépare[11] ». Il craint « [qu']il n'y ait pas assez d'air entre les gens et les choses[11]. » Il est néanmoins heureux de pouvoir tourner de manière plus souple, le 16 mm permettant un tournage plus léger et dynamique[11]. Cette légèreté séduit aussi Olivier Assayas qui sort du film Une nouvelle vie où la caméra 35 mm était « comme une enclume[18]. » Il trouve la caméra 16 mm très maniable : elle lui permet de tourner plus facilement à l'épaule et de mieux suivre les personnages et leurs regards[18]. En outre, le fait d'être en 16 mm, qui coûte moins cher que le 35 mm, l'autorise à tourner plus[18].

Des films pour la télévision

Différence avec la production classique d'un long métrage

Certains des cinéastes déclarent ne pas faire de différence entre le fait de tourner pour Arte ou pour le cinéma : c'est le cas de Claire Denis[3] ou de Laurence Ferreira Barbosa qui estime avoir réalisé pour cette série « un film à part entière[14]. » Elle concède qu'elle n'aurait pas fait ce film s'il ne lui avait été commandé, mais elle trouve que c'est un film qui lui ressemble : « j'ai fait un second film pour la télévision, et voilà[14]. » Les contraintes de la série sont en effet compensées par une grande liberté artistique[4], les cinéastes étant totalement libres de faire le film qu'ils désirent[25], de travailler avec les collaborateurs de leur choix et presque « d'inventer [leurs] propres conditions de production[18]. » Les Cahiers du cinéma écrivent lors de la diffusion que les réalisateurs ont « la liberté de tourner sans autre enjeu que la réussite de leurs films[8]. » Patricia Mazuy parle de « carte blanche[22] », Laurence Ferreira Barbosa dit avoir été « totalement libre d'un point de vue artistique » et Téchiné déclare « avoir tourné ce film en toute impunité » puisque personne ne tentait de le « tirer vers la norme[11]. » Il qualifie Les Roseaux sauvages de « film presque clandestin qui [lui] a offert une liberté, une absence de contraintes, d'obstacles. Les freins n'existaient pas et [il] a pu aller vers l'inconnu sans cette déperdition d'intensité » qui vient habituellement des rapports de force imposés par la production classique des films[11]. À l'époque, le budget moyen d'un premier film français est de 17 millions de francs ce qui, selon le journal Le Monde ne correspond ni à ce que demandent les films ni à ce qu'ils peuvent espérer comme recettes lors de l'exploitation en salles[5]. Les conditions de production « frugales » de cette collection ont favorisé la qualité des trois films qui sont sortis en salles, tourné avec un budget presque trois fois moindre : leurs auteurs ont travaillé dans des conditions plus difficiles mais avec une liberté qu'ils ne retrouveront pas forcément lors de tournages ultérieurs avec des budgets plus important[5]. « L'obligation de tourner vite, avec des acteurs peu connus, a donné à leurs films leur tonalité, leur style, leur personnalité, leur vérité[5]. »

Chantal Poupaud estime que la commande a « dédouané » les réalisateurs, les laissant plus libres de parler d'eux-mêmes, ce qu'ils ne se seraient pas forcément autorisé de la même manière pour une de leurs créations plus originales[3]. Olivier Assayas souligne combien il a pris les contraintes « au pied de la lettre » et a aimé travailler ainsi[18]. Pour lui, l'acceptation de ce cadre permet de développer une liberté « peut être plus grande qu'en l'absence de toute règle[18]. » D'après les Cahiers du cinéma, ces contraintes permettent aux cinéastes d'être moins intimidés, donc d'avoir moins de « complexe de supériorité » vis-à-vis de leurs films. Il jugent que cela permet au cinéma « de se libérer de son carcan silencieux » grâce à la télévision[26] : c'est ce que note Cédric Kahn quand il explique que le fait de devoir écrire et tourner rapidement l'a délivré de « l'angoisse du deuxième film[20]. » Ordinairement, la recherche de production et de financements pour un film se fait avec un scénario déjà écrit, voire « très écrit » qui finit pour lui par être contraignant. Ici, le fait d'entrer dans un système de production rapide permet de tenter plus de choses, sans la pression qu'il peut y avoir sur un film plus cher[20]. Tout ceci fait que les cinéastes sont fortement impliqués sur ce projet même s'il ne doit être diffusé qu'à la télévision. Comme le note Laurence Ferreira Barbosa lors de la diffusion des films : « ils n'ont pas fait ça par dessus la jambe, ils se sont mouillés[14]. »

Versions longues

Trois des téléfilms vont connaître une « version longue » avec une sortie au cinéma, ceux d'André Téchiné, d'Olivier Assayas et de Cédric Kahn. Lorsque André Téchiné écrit Le Chêne et le Roseau il commence par une version de 55 minutes mais, lui et ses scénaristes, Gilles Taurand et Olivier Massart, en sont insatisfaits : ils ne trouvent pas les personnages assez développés[11]. Ils poursuivent alors l'histoire pour en faire un long métrage, entremêlant mieux les aspects politique et sexuel qui dans la version précédente ne se croisaient pas assez[11]. Un accord est alors conclu avec Arte pour la production de ce long métrage[5]. Une autre chaîne est associée au projet, Canal+ ainsi qu'un second producteur, Alain Sarde[5]. Pierre Chevalier, directeur de l'unité fiction d'Arte, explique cet accord par le fait que, le film précédent d'André Téchiné ayant eu un budget autrement plus important avec des comédiens reconnus, il n'est « pas évident » pour lui de tourner un film à petit budget avec des acteurs débutants, cela même s'il est motivé par cette commande[4]. Le fait d'avoir deux versions du film, une courte diffusée sur Arte et une longue qui sort en salle, lui parait alors une bonne solution[4]. En outre, Arte considère que la sortie de ce film, présenté à Cannes, permettra de mettre en valeur la série[5].

Le téléfilm Le Chêne et le Roseau est concentrée sur les personnages adolescents, le long métrage, Les Roseaux sauvages développe aussi les personnages adultes, notamment celui de la mère de Maïté (Michèle Moretti), professeure victime d'hallucinations qui lui font voir le soldat mort qu'elle a refusé d'aider[27]. Dans le film, le personnage de François (Gaël Morel) va discuter avec Monsieur Chassagne, le marchand de chaussures homosexuel dont lui a parlé Maïté (Élodie Bouchez), ce qu'on ne voit pas dans le téléfilm qui le montre seulement devant la vitrine[27].

Les choses sont moins simples pour Olivier Assayas et Cédric Kahn : le principe des versions longues n'est cette fois été accepté « [qu']en cours de route[5] ». Dès la lecture du scénario du film d'Olivier Assayas, Arte constate qu'il s'agit d'un long métrage[5]. La chaîne demande au cinéaste de retravailler pour respecter la commande, mais il garde en tête son idée de départ[5]. Finalement, deux versions seront faites. Selon le réalisateur, le film et le téléfilm diffèrent par leurs points de vue : la version longue, L'Eau froide, montre Christine, le personnage principal féminin, vue par Gilles, son amoureux, tandis que le téléfilm La Page blanche est recentré sur elle[28]. La version télévisée, à l'image de Christine, est plus dynamique et nerveuse que la version cinéma[28].

Homme de 46 ans, souriant, brun, cheveux courts, mal rasé, chemise à deux boutons ouverts
Cédric Kahn en 2012.

Cédric Kahn, qui considère au départ ce téléfilm comme une simple commande, s'implique finalement beaucoup dans son tournage, stimulé par le travail fructueux avec ses jeunes acteurs[5]. Il finit par voir ce film comme une œuvre personnelle à part entière et plus comme un « exercice de style », il devient donc nécessaire pour lui d'en faire un long métrage[5]. Georges Benayoun, le producteur extérieur de la série, le soutient et prend en charge l'augmentation des frais de post-production occasionnés par le passage au long métrage (les droits musicaux passent de 100 000 francs pour le téléfilm à 800 000 francs pour une sortie en salle[5]). Cédric Kahn considère que le film qu'il a réalisé est bien plus Trop de bonheur la version longue, que Bonheur, la version courte : « le vrai sujet » de son film s'y trouve, cette version longue ayant « plus de contrepoints[19]. » Il a cherché à faire sentir la différence entre les deux par les titres : Trop de bonheur évoque pour lui un bonheur qui ne pourra pas revenir, « cuit avant même de commencer[19]. » En coupant une demi-heure de son film pour la version télévisée, ce qui simplifie le film, il enlève aussi « l'ambiguïté du titre », il n'y reste donc que le Bonheur[19].

Pierre Chevalier ne veut pas empêcher ces longs métrages d'être diffusés en festivals et, en principe, de sortir en salles[5]. Mais un problème nait du calendrier de diffusion. Pierre Chevalier souhaite que le premier passage sur Arte de la collection soit antérieur aux sorties en salles des versions longues. Georges Benayoun veut, lui, sortir les films rapidement, afin de pouvoir toucher les bénéfices des sorties en salles et l'argent de Canal+ (la chaîne ne verse en effet son apport qu'après la sortie d'un film)[5]. Par ailleurs, administrativement, le CNC pourrait considérer que les versions courtes et longues constituent un même film (ce qui finalement n'arrivera pas) ; les téléfilms ne pourraient alors être diffusés sur Arte qu'au bout de deux ans : ce délai est en effet obligatoire entre la sortie d'un film et sa diffusion sur une chaîne[n 9].

Au terme de ce « bras de fer », Arte finit par céder et les films d'Olivier Assayas et de Cédric Kahn, sélectionnés à Cannes tout comme celui de Téchiné, sortent en salles dans la foulée du festival, comme souhaité par Georges Benayoun[5].

Le journal Le Monde fera remarquer que, si Georges Benayoun et Ima Productions semblent avoir « le beau rôle », celui du producteur qui fait tout, aux côté des auteurs, pour que leurs films aient la meilleure diffusion possible, les trois réalisateurs des versions longues n'ont volontairement pas respecté les règles auxquelles ils s'étaient engagés, faisant ainsi « éclater la notion de collection » qui était à la base du projet[5]. Toujours selon Le Monde, il serait alors normal que les autres réalisateurs, ceux qui ont respecté les règles, trouvent la situation injuste[5]. Néanmoins, lorsque la question de la durée de son film lui est posée à l'époque de sa diffusion, Patricia Mazuy explique que lorsqu'elle a préparé ce film, le premier de la collection, à une époque où personne ne savait si cette série pourrait être menée à bien, « l'astuce » des doubles versions n'était encore venue à l'idée de personne et la question était surtout de savoir si le tournage serait possible[13]. Elle ne semble pas regretter la durée de son téléfilm, dont elle considère depuis le départ qu'il doit être « une espèce de film-pirate, hors standard à tous les points de vue[13]. »

Il existe aussi une version longue du film d'Olivier Dahan, intitulée Frères, la roulette rouge qui est sélectionnée au Festival de Berlin en 1995[29]. Cette version longue n'a pas été exploitée en salles.

Accueil de la série

Audiences

Le téléfilm d'André Téchiné, Le Chêne et le Roseau, le premier à être diffusé, réunit 3,8 parts de marché, ce qui est élevé car Arte ne diffuse alors que depuis un an[27].

Prix, nominations et sélections

L'ensemble de la série a reçu une mention spéciale du prix FIPRESCI au Festival international du jeune cinéma de Turin 1994[30] où il est présenté en événement spécial[31].

Les Roseaux sauvages (version longue de Le Chêne et le Roseau)
Jeune femme à l’immense sourire, robe blanche simple, sourcils marqués, cheveux auburn nattés sur le haut de son crâne
Élodie Bouchez, César du meilleur espoir féminin pour Les Roseaux sauvages.
L'Eau froide (version longue de La Page blanche)
  • Festival de Cannes 1994 : sélection « Un certain regard »[35].
Travolta et moi
Trop de bonheur (version longue de Bonheur)
Frères, la roulette rouge (version longue de Frères)

Accueil critique

Accueil général

La collection reçoit, de manière générale, un excellent accueil critique. L'une des très rares critiques négatives est celle de Yann Moix dans L'Express qui, au lancement de la série juge que, si l'idée est bonne, le début de la collection n'a pas d'intérêt : Le Chêne et le Roseau ne traite selon lui que « [d']une amourette pâlotte et rebattue entre ados du même dortoir » et, concernant le film de Claire Denis, « [qu']une BO sixties, une natte et quelques gimmicks vestimentaires de l'époque ne suffisent pas à remonter le temps[38]. » À l'inverse, Libération qualifiera la série de « sensation sensationnelle » dans son bilan cinéma de l'année[39]. Ce qui en fait le succès, pour Télérama, est que chacun peut y retrouver quelque chose de son adolescence, « une bribe de jeunesse[3] » et qu'elle contient « d'incroyables moments de grâce. » Les Cahiers du cinéma écrivent que les films de cette série sont « les meilleurs de leurs auteurs[18]. » Pour eux la réussite vient de ce que les réalisateurs ont non seulement fait des œuvres personnelles mais ont aussi accepté de « parler un peu d'eux[8]. » Ils qualifient de « coups d'éclat » les trois versions longues sorties durant l'été, ajoutant que ces films sont « débordants de vitalité et de liberté[40] ».

Les Inrockuptibles soulignent que le fait de répondre à une commande n'annihile pas la personnalité de chaque auteur : « tous les cinéastes convoqués ici traitent le même sujet, aucun ne fait le même film[10]. » Ces films rejoignent les « interrogations intimes » de chaque cinéaste : l'homosexualité chez Téchiné ou Akerman, le rapport à l'Amérique pour Claire Denis, l'obsession chez Émilie Deleuze[10], etc. La Vie souligne qu'on trouve dans ces films des « moments de grâce donnés par des auteurs de cinéma penchés sur le maelström de leurs dix-sept ans, impression de fraîcheur accentuée par l’authenticité des comédiens, pour la plupart débutants, instants de magie insufflés par l’inégalable puissance du rock’n roll[2]. »

Plusieurs critiques insistent sur l'intelligence du concept de la série, à la fois intelligent[10], simple, et qui en fait « une des plus belles et des plus originales créations de la télévision française[3]. » Il s'agit pour L'Humanité d'un des rares cas où « la télévision cesse d'être un outil de diffusion pour devenir un lieu de création[12]. » Les Cahiers du cinéma estiment que ce qui fait la force de cette idée est « un juste milieu » entre le cinéma indépendant (budgets réduits, grande liberté artistique) et le cinéma commercial avec le cadre de la commande[18]. Cela montre, d'après cette revue, « les mérites d'un dirigisme bien conçu[8]. » Les Inrockuptibles font néanmoins remarquer qu'Arte ne fait jamais que ce que chaque chaîne de télévision devrait faire : au lieu de féliciter la chaîne franco-allemande « ce sont les autres chaînes qu'il faudrait huer. Arte passe pour une exception élitiste dans un paysage où TF1, France 2 ou M6 sont la norme[10]. » Arte, par cette série, montre en effet que tandis que les autres chaînes se soucient essentiellement de leurs recettes publicitaires, elle se préoccupe avant tout de son spectateur, le considérant comme « une personne dotée d'un cerveau et d'une paire d'yeux[10]. »

Les Inrockuptibles vantent en particulier l'aspect démocratique du concept de la série où tous les cinéastes, les plus connus et expérimentés comme les plus jeunes doivent travailler avec les mêmes contraintes et sont diffusés aux mêmes horaires : « de Téchiné à Dahan, il y a « égalité des chances » et cela constitue un « projet éminemment démocratique, au sens Jules Ferry du terme[10]. » La télévision, « média démocratique par excellence », retrouve là pour eux des principes dont elle n'aurait jamais dû se séparer[10].

Des jugements divers selon les films

Olivier Assayas.

Si l'accueil général est extrêmement bon, les films considérés comme les plus intéressants ne sont pas les mêmes selon les titres de presse, voire selon les journalistes.

Les Cahiers du cinéma s'enthousiasment tout d'abord sur les trois films de la série qui sortent en version longue en juin et juillet (ils ne feront pas de critiques de leurs versions courtes). La série fait la couverture du numéro de juin 1994, titrant « Tous les garçons et les filles de leur âge : André Téchiné, Olivier Assayas, Cédric Kahn en pleine jeunesse[40]. » Puis, lors de la diffusion télévisée de l'ensemble de la série, ils annoncent en couverture de leur numéro de novembre 1994 « Patricia Mazuy, Claire Denis, Chantal Akerman à l'assaut de la télévision[41]. » Dans l'introduction au dossier que la revue consacre à la collection, les films de Denis et d'Akerman sont « à découvrir en priorité[42] » mais le plus mis en valeur est celui de Patricia Mazuy auquel le magazine consacre plusieurs pages, avec un long entretien avec la réalisatrice[13], un article sur le travail de son décorateur, Louis Soubrier[43], et une critique de deux pleines pages[44].

Les trois autres films de la série sont moins appréciés par les Cahiers du cinéma. Si le film de Ferreira Barbosa a « un sujet fort » (le fait de se construire contre son milieu et son environnement), il est jugé pas assez risqué, trop sage[45]. Émilie Deleuze semble « posséder par instants un vrai regard », mais son film, L'Incruste, est pour cette revue souvent trop superficiel et ironique[46]. Enfin Frères « produit un certain malaise » car, le film ayant une forme très travaillée, la revue juge qu'elle prend trop le pas sur le sujet du film[47].

L'appréciation de Télérama est notée à l'époque par TT pour les meilleurs programmes, T pour les bons et rien pour ceux sans intérêt. Sur les neuf films de la série, deux récoltent un T : L'incruste[48] et Portrait d'une jeune fille de la fin des années 60 à Bruxelles[49]. Cinq autres films sont notés TT : Le Chêne et le Roseau, (« sans doute l'œuvre la plus parfaite d'André Téchiné[50] »), ainsi que les films de Claire Denis[51], d'Olivier Assayas[28], d'Olivier Dahan (dans la « catégorie des chefs-d’œuvres auxquels on repense des mois après et qui font date[52] ») et de Laurence Ferreira Barbosa. Le critique remarque à propos de ce dernier que cette œuvre est nettement moins atemporelle que d'autres de la collection, « ancrée au cœur de l’année 1975 » par ses décors et ses costumes mais aussi parce que le film aborde les aspects politiques et sociaux de l'époque ; aspects qui sont souvent à peine esquissés dans les autres téléfilms (en dehors de celui de Téchiné)[53].

Femme de 63 ans, cheveux blonds très fins et ondulés, pommettes marquées, rides d’expression au coin de ses yeux sombres
Claire Denis en 2009.

À l'inverse, Télérama donne une appréciation particulièrement négative à Travolta et moi, handicapé selon lui par « une insupportable esthétique du laid » et dont « les personnages se morfondent dans des crises existentielles même pas touchantes et se ridiculisent par des actes aussi extrêmes que gratuits[54]. » Et la journaliste est exaspérée par Bonheur de Cédric Kahn. Si le film commence par des dialogues « croustillants de naturel », elle ajoute « le naturel […] il ne faut pas en abuser » : elle trouve la fête du film beaucoup trop longue, ne supporte pas que les personnages parlent tous en même temps, les garçons avec un fort accent, les filles « derrière le rideau de leur cheveux » et estime que le film aurait pu être touchant si certaines séquences avaient été allégées et si la mise en scène avait été un peu plus sophistiquée[55].

D'autres journaux ne publient de critiques que de certains des téléfilms. Les Inrockuptibles font un dossier sur la série composé d'un long article général de Serge Kaganski[10] et d'une interview de Laurence Ferreira Barbosa[14] en décembre 1994, à la fin de la diffusion télévisée. Ils ont auparavant fait un article lors de la sortie de Trop de bonheur où ils louent « le sens de l'improvisation maîtrisée » de Cédric Kahn et « sa capacité à parler avec une caméra[56] », un autre article, très positif, sur L'Eau froide[57] et un sur le film d'Akerman qu'ils qualifient de « pépite[58]. » Le magazine n'aborde pas en détail les autres téléfilms de la série.

L'Humanité fait une critique du film de Ferreira Barbosa où ce journal trouve « comme dans le film de Claire Denis, une même justesse dans l'approche des personnages[9] ». Il juge en particulier que l'époque du film (1975) est vraiment présente[9]. À l'inverse, il écorne dans le même article les films d'Assayas ou de Kahn dont il trouve les séquences de fête des versions courtes « particulièrement longuettes[9]. »

Lors d'une rediffusion en 1999 Libération écrira qu'on trouve dans cette série « au moins » cinq chef d’œuvres : les films d'André Téchiné, Olivier Assayas, Claire Denis, Émilie Deleuze et Cédric Kahn[7]. Néanmoins, lors de la première diffusion, Louis Skorecki souligne dans ce journal que les téléfilms d'Olivier Dahan, et d'Émilie Deleuze, tous deux moins expérimentés que le reste du groupe, sont évidemment « plus adolescent[s], moins abouti[s] » même si ces deux films restent « passionnants à regarder en dépit de leurs défauts flagrants, frime et maladresse[59]. »

Une nouvelle génération d'acteurs

Virginie Ledoyen, découverte par la critique dans le film d'Olivier Assayas.

La critique est en général enthousiasmée par les jeunes acteurs. Serge Kaganski loue le travail « intense et juste » qu'on sent avec eux alors qu'ils sont le plus souvent débutants : « de jeunes comédiens dont il a été tiré le meilleur jus » et qu'il qualifie de « plus que prometteurs[10]. » De cela naît « un sentiment de fraîcheur, d'urgence et de liberté, l'empreinte documentaire de la collection[10]. » Pour Télérama, le jeu de ces acteurs est marqué par « la vérité[3] », et leur force et leur fragilité transparaissent avec fraicheur et spontanéité[3]. Cinq ans plus tard, c'est le journal Le Monde qui, lors d'une rediffusion de la collection, évoque « une nouvelle génération d'acteurs qui depuis ont fait leurs preuves », citant Élodie Bouchez, Grégoire Colin, Claire Keim et Virginie Ledoyen[60].

Les Inrockuptibles jugent parfaits les acteurs du film de Téchiné et qualifie de « pétaradante » Leslie Azzoulai[10]. Cette actrice enthousiasme aussi les Cahiers du cinéma où elle est qualifiée « [d']actrice adolescente la plus épatante de tous les temps[44] » et ils remarquent la variété du jeu de Virginie Ledoyen qu'ils trouvent « tour à tour angélique et impudente, lumineuse et ténébreuse, cette actrice n'a visiblement peur de rien[61]. » Il soulignent son « aplomb » remarquable pour quelqu'un d'aussi jeune[61]. Pour Les Inrockuptibles, cette actrice est la « figure emblématique de l'adolescence éternelle : butée, défiante, mythomane, pisseuse, fragile, excessive, minaudeuse, décidée, perdue[57]. »

Selon Télérama, la grâce de US Go Home de Claire Denis « tient surtout par le talent de ses deux acteurs », Grégoire Colin et Alice Houry, le magazine écrivant que le personnage de cette dernière « tempère son fou rire sans cesse menaçant par des éclats de douleur qui surgissent sans crier gare[51]. » Lors d'une rediffusion de la série en 1997 le journal L'Humanité insiste particulièrement sur la qualité de ces acteurs, jugeant qu'ils « illuminent le film de Claire Denis »[17].

Un renouvellement pour des cinéastes expérimentés

Plusieurs articles évoquent un renouvellement, une régénération de la part des cinéastes les plus expérimentés. C'est ce que note Jacques Morice, dans son article saluant la diffusion du téléfilm de Chantal Akerman dans les Inrockuptibles. Évoquant aussi les films d'André Téchiné, Cédric Kahn et Olivier Assayas il écrit : « tout ce qu'il y a de meilleur chez les cinéastes sus-nommés se retrouve condensé ici. Fini l'habillage artificiel et superflu qui coupait parfois la force de leur esthétique respective[58]. » Il avance que Portrait d'une jeune fille de la fin des années 60 à Bruxelles réussit ce à quoi le précédent film de son auteure, Nuit et jour n'arrivait pas toujours : concilier le début de carrière « radical » de Chantal Akerman (avec par exemple Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles ou Je, tu, il, elle) et ses films suivants au style moins ascétique (Golden Eighties ou J'ai faim, j'ai froid).

Pour le même magazine, Serge Kaganski écrit que L'Eau froide est la « première grande réussite » d'Assayas, un film abouti sur l'adolescence alors que Paris s'éveille ou Désordre avaient simplement ébauché ce thème[57]. Jusqu'alors les films de cet auteur n'arrivaient pas à toucher le spectateur, son œuvre faisant partie « des films que l'on voudrait aimer de toutes ses forces et auxquels on n'arrive pas à adhérer[57] ». Kaganski explique que malgré les qualités évidentes d'Assayas (élégance, rythme, sens de la mise en scène…) « ça coinçait quelque part ». Les raison en seraient un « romantisme » tellement sombre qu'il en paraît faux, des « personnages trop théoriques » ou encore la sensation d'une certaine auto-complaisance. Le critique a la sensation que pour « la première fois » ce cinéaste « met son style précieux au service de personnages de chair et de sang ».

C'est dans la même idée que Frédéric Strauss écrit, à propos des longs métrages d'Olivier Assayas et d'André Téchiné, que leurs films permettent d'éviter à leurs auteurs ce qu'il nomme « une menace d'infatuation », sensible dans leurs précédentes œuvres qui étaient « traversé[e]s par une élégance quelque peu compassée de la mise en scène, tentation d'une sophistication formaliste qu'ils ont cette fois balayée l'un et l'autre, allant droit au nerf de leur cinéma[8]. »

Rapports entre télévision et cinéma

Cette série est pour la critique l'occasion de redéfinir les rapports entre télévision et cinéma et de préciser ce qui fait un film, de quelque système de production qu'il vienne. Dès la sortie en salle des trois versions longues, les Cahiers du cinéma qualifient la série de « beau cadeau » fait par la télévision au cinéma[40]. Selon Frédéric Strauss, ces trois longs métrages ainsi que le téléfilm de Patricia Mazuy, déjà présenté et primé à Locarno[24], renouvellent plus concrètement le cinéma français que les premiers films d'autres réalisateurs sortis en salles au printemps 1994 qui souffraient d'un « auteurisme reconnaissable », montrant la recherche d'une reconnaissance rapide[8].

Il est difficile de démêler dans cette collection ce qui appartient au cinéma ou à la télévision : ces films viennent du petit écran, mais ne ressemblent pas à ce qu'on y voit d'ordinaire[8]. Ils font partie des meilleurs films qu'on puisse voir, mais ne sont pas issus des circuits habituels du cinéma[8]. Frédéric Strauss remarque d'ailleurs que l'exigence de cette série peut être liée au fait que Chantal Poupaud, qui en en est à l'origine, est quelqu'un qui ne travaille pas habituellement à la télévision et a donc pu « la rêver d'une belle hauteur de vue[8]. »

Serge Kaganski, dans Les Inrockuptibles, rejoint cette idée : cette collection montre que la frontière entre un film et un téléfilm ne se situe pas dans les questions de format ou de moyens de diffusion[10]. La différence tient plus aux choix esthétiques, au talent des cinéastes et surtout à la singularité de leurs regards[10]. Les cinéastes ont, pour ces téléfilms « utilisé des armes de cinéma » par le travail sur le cadrage, la lumière, l'exigence dans le jeu des comédiens[10]… Ils ont respecté la « morale élémentaire d'un cinéaste digne de ce nom » en aimant leurs personnages et en s'impliquant dans leur histoire[10].

Analyse

La jeunesse

L'adolescence est un sujet plus compliqué à filmer qu'il n'y parait, c'est même pour Serge Kaganski « le sujet casse-gueule par excellence[10] ». Ordinairement, beaucoup de réalisateurs se noient dans une idéalisation nostalgique, une ironie distanciée ou ne savent regarder cette période qu'avec leurs yeux d'adultes : « combien de films d'ados filmés avec des yeux de vieux cons[10] ? » Le cinéma utilise souvent la jeunesse « pour la vampiriser », s'attribuer sa fraicheur, sa vigueur ou son innocence[8]. Si cette série sait saisir « la beauté éphémère d'un âge qui n'en a pas conscience[8] », si les jeunes comédiens, souvent débutants, apportent fraicheur et authenticité[2], les clichés habituels sont évités[10]. Émilie Deleuze explique avoir refusé de considérer la jeunesse comme une classe sociale, où les idées générales feraient oublier combien les situations et les personnalités peuvent être différentes et où le destin d'un adolescent serait nécessairement réduit « à la fugue ou à la drogue[62]. » Et les Cahiers du cinéma soulignent la vérité du film de Cédric Kahn en expliquant qu'il ne cherche pas à « dire » le malaise, la différence, le désir » mais qu'il cherche avant tout à enregistrer, à « saisir au vol » ce que ses jeunes acteurs lui apportent sans vouloir le recréer ou l'imiter[26].

Ces téléfilms qui viennent du cinéma et sont moins les descendants des « classiques » des films d'adolescents (La Boum, À nous les petites Anglaises ou Diabolo menthe) que des cinéastes comme Maurice Pialat pour le film de Cédric Kahn, Robert Bresson pour celui de Chantal Akerman, Jean Renoir pour le Téchiné ou Nicholas Ray pour le film d'Olivier Assayas[10]. Ici l'adolescence n'est « jamais un cadeau, une mince affaire, plutôt un inconfortable moment de transition, de laborieuse transition[8]. » Tous les films de la série sont traversés par l'idée qu'il s'agit d'une période douloureuse, comme le constate Laurence Ferreira Barbosa au moment de la diffusion, même si le traitement qui est fait de cette « part très sombre » est plus ou moins léger selon les films[14]. Elle-même estime que l'adolescence est un âge « que l'on est plutôt content de quitter » et que ce n'est que par la suite qu'on l'idéalise, gagné par la nostalgie[25]. Presque tous les personnages vivent d'ailleurs dans le rêve d'une vie différente, qu'il s'agisse de l'espoir d'une révolution (Akerman, Assayas, Ferreira Barbosa), d'un monde sans classes sociales (Téchiné), d'une vie dans la richesse matérielle (Dahan) ou même des fantasmes d'amour avec John Travolta de l'héroïne de Patricia Mazuy. Ce rêve d'ailleurs envahit les personnages, « se substituant à la vie elle-même[6]. »

L'énergie de cet âge peut être liée à une pulsion de mort, l'envie de se rompre avec le passé ou d'en finir avec le présent afin de mieux se jeter dans l'avenir[8]. Deux films comportent d'ailleurs une scène de suicide : La Page blanche d'Olivier Assayas[n 10] et Travolta et moi de Patricia Mazuy[14]. Cet acte est aussi évoqué dans le film de Laurence Ferreira Barbosa. Elle ne souhaitait surtout pas tourner une telle scène, mais son film aborde ce sujet, ce qui lui semble logique puisqu'il parle de révolte et que, poussé à la limite, cette idée peut être liée à celle du suicide[14].

La mémoire et les éléments naturels

Un feu comme celui du brasier de La Page blanche.

Ces films ne sont pas basés tant sur des reconstitutions que sur la mémoire de l'époque qu'ont les auteurs[6]. Dans celui de Chantal Akerman, les personnages évoluent dans le Bruxelles des années 1990, le film montre même un compact disc[6] ou une Peugeot 205[58]. Ces mélanges représentent ceux que la mémoire effectue naturellement entre différentes époques[6]. Les films contiennent donc les situations de fête mixant le désir, l'ivresse, la musique, situations qui sont « revisitées » par ce qu'il peut y avoir de fluctuant dans la mémoire, augmentant ou annulant le plaisir ou la tristesse du moment raconté : « on privilégie les instants de plaisir ou bien l'on insiste au contraire sur le froid des petits matins qui les suivent[6]. »

Une calanque.

Cinq des neuf films s'appuient sur les éléments naturels (l'eau, le feu), ce qui s'explique par le fait que ces éléments « fixent » d'une façon concrète des souvenirs adolescents où l'imaginaire a donc une grande part[6]. Le film d'Assayas montre même Virginie Ledoyen comme une incarnation de l'eau : un torrent dans la scène du supermarché, un « lac stagnant » dans les scènes de l'hopital psychiatrique où elle est enfermée, une chute d'eau quand elle s'évanouit[61]. Comme dans celui de Patricia Mazuy, l'eau glacée détruit les corps, permettant le suicide[6], celui de Nicolas qui se jette du haut de la patinoire dans Travolta et moi, celui de Christine qui se noie dans la Page blanche. Dans ces deux films qui se déroulent dans le nord, l'eau glacée vient « cristalise[r] » le feu qui la précédait auxquels sont liés « la révolte et la dissémination, la perte de contrôle et la perte de soi[6]. » Les films qui se déroulent dans le Sud insistent plus sur les moments de plaisir de la jeunesse : l'eau s'y allie alors avec le soleil. Dans ceux de Téchiné, Kahn et Feirrera Barbosa comportent des scènes de baignade. André Téchiné a accepté la commande en partie pour essayer de réussir une scène de baignade, ce qu'il estimait avoir raté dans Ma saison préférée[11] ; la scène qu'il filme ici, tout comme celle du film de Cédric Kahn, est une « scène centrale de découverte et d'entrelacement des désirs. » Le soleil et l'eau y sont utilisés pour révéler la sensualité des personnages[6]. Dans Paix et Amour ce sont les baignades dans les calanques qui sont traitées comme « un fondement vital » pour les personnages[6].

L'évolution d'une société

La vision de l'ensemble des films dresse « un portrait saisissant de l'évolution » de la société française[12] ; portrait d'autant plus impressionnant qu'il ne résulte pas d'une scénarisation d'ensemble[6]. Cette évolution est d'abord visible dans la place donnée aux parents[6]. Dans les films des années 60, ils symbolisent une autorité forte mais sont rarement physiquement présents, restant à distance, tel le père chez Chantal Akerman[6]. Les lieux qu'occupent les adolescents et ceux qu'occupent leurs parents sont différents[6]. Dans les années 70, ils apparaissent physiquement mais leur présence, comme chez Assayas ou Mazuy, est vécue comme de la « coercition[6]. » Ils ne sont plus des modèles et la révolte contre leur autorité se fait sentir[6]. Dans les années 80 les parents ne représentent plus un modèle, ils ne sont pas non plus les garants de l'ordre. Les adolescents peuvent investir leur espace, comme l'héroïne du téléfilm d'Émilie Deleuze qui organise, incitée par son père, une fête dans l'appartement familial[6]. Enfin, pour les années 90, le titre du téléfilm d'Olivier Dahan, Frères, est symptomatique d'une disparition des parents, absence qu'on peut lier à l'extrême dureté de la société décrite[6].

L'évolution politique est aussi sensible. Les téléfilms abordent les uns après les autres l'Histoire de ces années : les accords d'Évian (Téchiné), les bases américaines (Denis), la vie à Bruxelles dans l'avant mai 68 pour un déserteur (Akerman) pour finir dans une cité de banlieue des années 90 « où les pulsions destructives servent de rage de survivre[12] » (Dahan). À ce contexte historique sont liées différentes sortes d'engagement politique, tout d'abord celui dans des « partis d'adultes[6] » du film de Téchiné, où les jeunes sont forcés d'avoir un regard politique ne serait-ce qu'à cause du risque de devoir partir au service militaire en Algérie[12]. Ce type d'engagement est suivi d'un engagement plus personnel et marginal (chez Assayas ou Akerman)[6]. Par la suite, « la sensualité » (Cédric Kahn), le « fantasme » (Mazuy), le « maniérisme » (Deleuze) passent au premier plan pour faire oublier le regard porté sur le contexte politique[6]. Comme si, après la faillite des espérances des années 70, les jeunes se réfugiaient « dans l'individualisme dans le meilleur des cas, dans le nihilisme dans le pire[12]. » Ce contexte est enfin brutalement ravivé chez Olivier Dahan qui met en valeur l'absence de raison d'être de la société qu'il décrit[6].

Postérité de la série

La série est rediffusée au début de l'année 1997[17] et durant l'été 1999[7]. Elle est diffusée à New York, au Museum of Modern Art du 10 au 20 janvier 1997[65]. Le programmateur découvre la série en sélectionnant Trop de bonheur pour un autre cycle et décide de la programmer car « l'équation « cinéma français plus adolescence » a toujours séduit le public new-­yorkais[65]. ».

Autres collections

Arte va produire d'autres collections de téléfilms, notamment Les Années lycée, dont l'impulsion est donnée dès 1993. Elle comporte par exemple Le Péril jeune de Cédric Klapisch qui sortira en salles sept mois après sa diffusion en 1995[66] et Petites de Noémie Lvovsky qui avec un tournage supplémentaire sera exploité sous le titre La vie ne me fait pas peur[67]. Gauche/Droite (conçue en 1998 et diffusée en 2000) aura pour thème la politique, avec six téléfilms de genre disposant chacun d'un budget de 2,5 millions de francs[68] et Masculin/féminin (diffusée en 2003) les rapports entre le hommes et les femmes. Dans cette dernière se trouvent Motus de Laurence Ferreira Barbosa et La Chose publique de Mathieu Amalric. Il s'agit d'une collection où chaque film dispose d'un million d'euros de budget et doit mener à bien en deux ans, avec une équipe réduite et un tournage en DV afin de retrouver la liberté d'un tournage léger[69].

Néanmoins si Les Années lycée a un certain succès (Les Inrockuptibles parle à son sujet, tout comme pour Tous les garçons et les filles de leur âge, de « modèle de télévision intelligente[70] ») les séries suivantes, comme Gauche/Droite ou Masculin/féminin sont moins appréciées. Les Cahiers du cinéma font la remarque, à propos de Masculin/féminin, que cette série n'a pas l'impact global de Tous les garçons et les filles de leur âge car elle n'impose pas aux réalisateurs la contrainte de choisir des époques qui « tendait à faire des amours adolescentes un grand corps sentimental de la deuxième moitié du XXème siècle[71] ». Elle déçoit alors souvent car elle ne constitue pas « un tout » : « seul, on est moins fort qu’en groupe[71]. »

Films de cinéma produits dans des conditions proches

À la suite de Tous les garçons et les filles de leur âge, son producteur, Georges Benayoun, décide de créer une filiale dédiée aux films à petit budget (moins de dix millions de francs), Dacia films[72]. La collection d'Arte a en effet montré que les réalisateurs avaient pris du plaisir et même « connu une vraie joie liée à la légereté, au 16 milimètres, à la commande[72]. » Cette société de production produira une douzaine de longs métrages, parmi lesquels Nénette et Boni de Claire Denis, film qu'elle a réalisé pour retrouver le charme qui se dégageait du duo formé par Grégoire Collin et Alice Houry[23], Irma Vep d'Olivier Assayas et Parfait Amour ! de Catherine Breillat.

Georges Benayoun et Chantal Poupaud tentent aussi de produire une nouvelle collection, cette fois-ci de longs métrages, intitulé Toutes les femmes sont folles. Les films de cette série devaient avoir pour point commun une héroïne qui s'adresse à un thérapeute. Ce qui devait en être le premier volet, le film Le Septième Ciel de Benoit Jacquot, sort en 1997[73].

La thématique adolescente

Tous les garçons et les filles de leur âge a aussi un impact sur la place de la thématique adolescente dans le cinéma français. En 1999, à la sortie de La vie ne me fait pas peur de Noémie Lvovsky, film qui est une version longue et un prolongement du téléfilm d'Arte Petites, la revue Positif note que c'est à Arte qu'est due « la recrudescence quantitative et surtout qualitative de la « fiction adolescente » en France », grâce à ses séries Les Années lycée et Tous les garçons et les filles de leur âge[67].

En 2008, le réalisateur Christophe Honoré racontera s'être remémoré la série pour écrire son film La Belle Personne qui traite aussi de l'adolescence[74].

Notes et références

Notes

  1. Elle a entre autres travaillé à la promotion de plusieurs films de Marguerite Duras, mais aussi de films de Benoit Jacquot, de Chantal Akerman, Lino Brocka, Aki Kaurismäki ou Wim Wenders[1].
  2. Melvil Poupaud, né en 1973, qui sera connu comme acteur.
  3. Le musicien Yarol Poupaud, né en 1968, qui est notamment l'auteur de la musique d'habillage de la série.
  4. Département d'Arte qui n'est pas responsable du cinéma pour lequel la chaîne dispose déjà de sa propre filiale.
  5. André Téchiné est né en 1943.
  6. Jackie Berroyer joue dans La Page blanche (L'Eau froide) et dans Paix et Amour, Antoine Héberlé est chef opérateur sur L'Incruste et sur Paix et amour, enfin Yann Dedet est le monteur de Bonheur (Trop de bonheur) et le comonteur de Paix et Amour.
  7. Virginie Ledoyen a par exemple tenu le rôle titre du film Mima de Philomène Esposito sorti en 1991.
  8. Grégoire Colin a notamment déjà joué dans Pas très catholique de Tonie Marshall.
  9. Le délai de diffusion d'un film à la télévision est réduit à un an pour Canal +[5].
  10. Le film d'Olivier Assayas sera d'ailleurs brièvement interdit aux moins de 16 ans par le Ministre de la culture Jacques Toubon à sa sortie, le 6 juillet 1994, sans que le Ministre ou ses conseillers aient vu le film, parce qu'il aborde le thème du suicide adolescent[63]. Cette décision, qui ne fait habituellement pas partie des attributions du Ministre de la Culture, est prise durant une période de vacance de la présidence de la commission de classification des œuvres cinématographiques[63]. Lors de sa réunion suivante, le 11 juillet, la commission annule cette interdiction et est suivie en cela par le Ministre[64].

Références

  1. Fiche de Chantal Poupaud sur le site de Canal +.
  2. a b c d e f g h et i Nathalie Queruel, « Les ados de Chantal Poupaud », La Vie, no 2568,‎ (lire en ligne).
  3. a b c d e f g h i j k l m n o p et q Cécile Maveyraud, « Les Années surboum », Télérama, no 2337,‎ , p. 90 et 91.
  4. a b c d e f g h i et j Thierry Jousse et Frédéric Strauss, « Entretien avec Pierre Chevalier », Cahiers du cinéma, no 473,‎ , p. 86-89.
  5. a b c d e f g h i j k l m n o p q r s et t Pascal Mérigeau, « Cannes/Enquète : Trois " téléfilms " produits par ARTE sont présentés au festival Frictions dans la fiction, entre cinéma et télévision », Le Monde,‎ (lire en ligne).
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Liens externes