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La femme Thibaut était étendue sur son lit ; elle regardait tristement sa fille Caroline, qui travaillait avec ardeur à terminer une robe qu’elle devait porter le soir même à Mme Delmis, la femme du maire. Près du lit de la femme Thibaut, Gribouille, jeune garçon de quinze à seize ans, cherchait à recoller des feuilles détachées d’un livre bien vieux et bien sale. Il reprenait, sans se lasser, ce travail, qui ne pouvait réussir, parce qu’aussitôt qu’une feuille était collée, il la tirait pour voir si elle tenait bien ; la feuille, n’ayant pas eu le temps de sécher, se détachait toujours, et Gribouille recommençait toujours sans humeur et sans colère.

« Mon pauvre Gribouille, lui dit sa mère, tes feuilles ne tiendront jamais si tu tires dessus comme tu fais.

GRIBOUILLE
Il faudra bien qu’elles tiennent, et que je puisse tirer sans qu’elles me viennent dans la main ; je tire bien sur les autres feuilles, pourquoi ne pourrais-je pas tirer sur celles-ci ?

LA MÈRE
Parce qu’elles sont déchirées, mon ami…

GRIBOUILLE
C’est parce qu’elles sont déchirées que je veux les raccommoder. Il me faut un catéchisme, n’y a pas à dire. M. le Curé l’a dit ; Mme Delmis l’a dit. Caroline m’a donné le sien, qui n’est pas neuf, et je veux le remettre en bon état.

LA MÈRE
Laisse sécher les feuilles que tu recolles, si tu veux qu’elles tiennent.

GRIBOUILLE
Qu’est-ce que ça y fera ?

LA MÈRE
Ça fera qu’elles ne se détacheront plus.

GRIBOUILLE
Vrai ? Ah bien ! je vais les laisser jusqu’à demain, et puis nous verrons. »

Gribouille colla toutes les feuilles détachées, et alla poser le livre sur la table où Caroline mettait son ouvrage et ses papiers.

GRIBOUILLE
Auras-tu bientôt fini, Caroline ? J’ai bien faim ; il est l’heure de souper.

CAROLINE
Dans cinq minutes ; je n’ai plus que deux boutons à coudre… Là ! C’est fini. Je vais aller porter la robe et je reviendrai ensuite tout préparer. Toi, tu vas rester près de maman pour lui donner ce qu’elle te demandera.

GRIBOUILLE
Et si elle ne me demande rien ?

CAROLINE, riant
Alors tu ne lui donneras rien.

GRIBOUILLE
Alors j’aimerais mieux aller avec toi ; il y a si longtemps que je suis enfermé !

CAROLINE
Mais… maman ne peut pas rester seule…, malade comme elle l’est… Attends… Je pense que tu pourrais porter cette robe tout seul chez Mme Delmis… Je vais la bien arranger en paquet ; tu la prendras sous ton bras, tu la porteras chez Mme Delmis, tu demanderas la bonne et tu la lui donneras de ma part. As-tu bien compris ?

GRIBOUILLE
Parfaitement. Je prendrai le paquet sous mon bras, je le porterai chez Mme Delmis, je demanderai la bonne et je le lui donnerai de ta part.

CAROLINE
Très bien. Va vite et reviens vite ; tu trouveras au retour ton souper servi.

Gribouille saisit le paquet, partit comme un trait, arriva chez Mme Delmis et demanda la bonne.

« À la cuisine, mon garçon ; première porte à gauche », répondit un facteur qui sortait.