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{{Voir homonymes|Historicisme (homonymie)}}
 
L''''historicisme''' ou '''historisme'''<ref name="Robert">{{Ouvrage|langue=fr|auteur1=[[Paul Robert (lexicographe)|Paul Robert]], rédaction dirigée par [[Alain Rey]] et [[Josette Rey-Debove]] |titre=Le petit Robert 1|éditeur=Le Robert|lieu=Paris |année=juin 1990 |isbn=2-85036-066-X|pages totales= 2175|passage=page 932 }}.</ref> est une [[doctrine]] philosophique qui affirme que les connaissances, les courants de pensée ou les valeurs d'une [[Société (sciences sociales)|société]] sont liés à une situation historique contextuelle.
L''''historicisme''' est une [[doctrine]] philosophique qui affirme que les connaissances, les courants de pensée ou les valeurs d'une [[Société (sciences sociales)|société]] sont liés à une situation historique contextuelle. Ses tenants privilégient l'étude du développement de ces connaissances, pensées ou valeurs, « plutôt que celle de leur nature propre »<ref>''Dictionnaire actuel de la langue française'', Paris, Éditions Flammarion, 1985, p. 552.</ref>. C'est une notion présente dans les débats nés des discussions autour de la [[philosophie de l'histoire]]. Ses principaux critiques sont les philosophes [[Wilhelm Dilthey]], [[Edmund Husserl]], [[Ernst Troeltsch]], [[Martin Heidegger]]<ref>Pierre Gisel, ''Vérité et histoire: La théologie dans la modernité, Ernst Käsemann'', Éditions Beauchesne, 1977, [https://books.google.fr/books?id=7Nu3vQflNUkC&pg=PA62&dq=historicisme+d%C3%A9finition&hl=fr&ei=Wx7ATOikD9KBswad3eidCA&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=2&ved=0CDAQ6AEwAQ#v=onepage&q=historicisme%20d%C3%A9finition&f=false p. 62].</ref> et [[Karl Popper]].
 
Ses tenants privilégient l'étude du développement de ces connaissances, pensées ou valeurs, {{Citation|plutôt que celle de leur nature propre}}<ref>''Dictionnaire actuel de la langue française'', Paris, Éditions Flammarion, 1985, {{p.|552}}.</ref>, et relativisent ou mettent en question la simple possibilité de les comparer entre elles, d'une époque ou d'une civilisation à l'autre, à l'aune de critères communs qu'ils considèrent comme délicats à établir. Pour eux, les objets et les événements du passé doivent être étudiés en eux-mêmes, et surtout dans leur liaison avec leurs conditions historiques propres, entre autres sous les contraintes économiques, techniques et culturelles de leur situation d'[[émergence]]<ref name="Robert"/>. C'est par exemple le cas de {{Citation|l'historisme marxiste}}<ref name="Robert"/> (notion contestée par [[Louis Althusser|Althusser]]<ref name="Althusser">{{Ouvrage|langue=fr|auteur1=[[Louis Althusser]]|auteur2=[[Étienne Balibar]]|titre=[[Lire le Capital]]|chapitre=5 |titre chapitre=Le marxisme n'est pas historicisme|éditeur=[[François Maspero]] |lieu=Paris |collection=[[Petite collection Maspero]]|volume= 1/2 |année=1965 (réédition en poche : 1969)|isbn=|passage=page 150 }}. Réédition en 1973 avec l'ajout de deux contributions revues (volumes 3 et 4). Enfin troisième édition en 1996, en collection de poche "grand format" (aux [[Presses universitaires de France|Presses Universitaires de France]], collection [[Quadrige (collection)|Quadrige]] "Grands Textes"), en un seul volume augmenté, refondu et annoté sous la direction d'[[Étienne Balibar]], avec [[Roger Establet]], [[Pierre Macherey]] et [[Jacques Rancière]] : {{Ouvrage|langue=fr|auteur1=[[Louis Althusser]]|auteur2=[[Étienne Balibar]]|titre=[[Lire le Capital]]|éditeur=P.U.F. |lieu=Paris |collection=Quadrige "Grands Textes"|année=1996, rééd. : 2008, 2014|isbn=978-2130634690 |isbn2=2130634699|pages totales=684}}.</ref>) ; ou de l'[[émergence du capitalisme selon Max Weber]], dont il relie étroitement l'essor, dans la deuxième moitié du {{s-|XVIII}}, à l'[[éthique protestante du travail]] ; ou encore de {{Citation|l'admiration historique}} prônée par [[Ernest Renan]].
==Définition==
Le terme « historicisme » recouvre plusieurs acceptions.
 
Parfois, l'historicisme peut aller jusqu'à s'apparenter à un [[relativisme historique]] marqué, selon lequel {{Citation|toute vérité évolue avec l'histoire}}<ref name="Robert"/> et ne saurait jamais se rattacher à un référentiel unique, de même que toute [[méthodologie historique]] doit s'adapter à son objet et se réinventer sans cesse.
L'historicisme (''Historismus'' ou ''Historizismus'') désigne d'abord une période de l'[[historiographie]] [[Historiographie allemande|allemande]] incarnée par [[Leopold von Ranke|Ranke]], [[Johann Gustav Droysen|Droysen]] ou [[Friedrich Meinecke|Meinecke]]<ref>Friedrich Meinecke, ''Die Entstehung des Historismus'', 1936.</ref>, mais aussi par les [[Historicisme (économie)|économistes]] [[Friedrich List|List]], [[Bruno Hildebrand|Hildebrand]], [[Karl Knies|Knies]] ou [[Gustav von Schmoller|Schmoller]], et dominante dans la seconde moitié du {{XIXe siècle}}. Désireux d'ériger l'histoire au rang de science rigoureuse, ces auteurs défendent plusieurs principes communs : l'historien doit établir les faits tels qu'ils se sont produits et saisir le passé dans sa singularité par rapport aux autres époques, sans chercher à émettre un jugement de valeur ; toute entreprise de systématisation doit être rejetée au profit d'une recherche des causes immédiates des événements. S'inspirant de la pensée de [[Johann Gottfried von Herder|Herder]], ils appellent à considérer chaque époque en elle-même et rejettent toute philosophie [[téléologie|téléologique]] de l'histoire. Cet historicisme applique à la méthode historique les concepts du [[positivisme]]<ref>Christophe Bouton, ''Le procès de l'histoire, fondements et postérité de l'idéalisme historique'', 2004, p. 254.</ref>. Par ailleurs, rejetant l'[[universalisme]] de l'[[école classique]], ils considèrent que chaque cas national doit être étudié à part, pour parvenir à la connaissance<ref>Mokhtar Lakehal, ''Dictionnaire de science politique. Les 1500 termes politiques et diplomatiques'', Pairs, L'Harmattan, 2005, 430 pages, p. 206 {{ISBN|2747587630}}.</ref>.
 
L''''historicisme''' est une [[doctrine]] philosophique qui affirme que les connaissances, les courants de pensée ou les valeurs d'une [[Société (sciences sociales)|société]] sont liés à une situation historique contextuelle. Ses tenants privilégient l'étude du développement de ces connaissances, pensées ou valeurs, « plutôt que celle de leur nature propre »<ref>''Dictionnaire actuel de la langue française'', Paris, Éditions Flammarion, 1985, p. 552.</ref>. C'est une notion présente dans les débats nés des discussions autour de la [[philosophie de l'histoire]]. Ses principaux critiques sont les philosophes [[Wilhelm Dilthey]], [[Edmund Husserl]], [[Ernst Troeltsch]], [[Martin Heidegger]]<ref>Pierre Gisel, ''Vérité et histoire: La théologie dans la modernité, Ernst Käsemann'', Éditions Beauchesne, 1977, [https://books.google.fr/books?id=7Nu3vQflNUkC&pg=PA62&dq=historicisme+d%C3%A9finition&hl=fr&ei=Wx7ATOikD9KBswad3eidCA&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=2&ved=0CDAQ6AEwAQ#v=onepage&q=historicisme%20d%C3%A9finition&f=false {{p. |62}}].</ref> et [[Karl Popper]].
De son côté, [[Ernst Troeltsch]] définit, en [[1922]], dans ''Der Historismus und seine Probleme'', l'historicisme comme « l'historicisation fondamentale de toute notre pensée sur l'homme, sa culture et ses valeurs. » Selon lui, ce n'est pas l'esprit humain qui, en façonnant ses pensées et ses valeurs, oriente l'histoire, mais le contexte historique qui les détermine<ref>Christophe Bouton, ''Le procès de l'histoire, fondements et postérité de l'idéalisme historique'', 2004, p. 254-255.</ref>.
 
== Définition ==
C'est cette seconde acception de l'historicisme que la plupart des penseurs du {{XXe siècle}} ont retenu. Ainsi, [[Raymond Aron]] en parle comme de « la doctrine qui proclame la relativité des valeurs et des philosophies aussi bien que de la connaissance historique »<ref>Raymond Aron, ''La Philosophie critique de l'histoire, 1938</ref>. Pour sa part, [[Leo Strauss]] critique le relativisme de cet historicisme, dont il fait remonter l'origine à l'école historique allemande du {{XIXe siècle}}<ref>Christophe Bouton, ''Le procès de l'histoire, fondements et postérité de l'idéalisme historique'', 2004, p. 255.</ref>.
Le terme « historicisme » recouvre plusieurs acceptions.
 
L'historicismehistorisme (''Historismus'' ou ''Historizismus'') désigne d'abord une période de l'[[historiographie]] [[Historiographie allemande|allemande]] incarnée par [[Leopold von Ranke|Ranke]], [[Johann Gustav Droysen|Droysen]] ou [[Friedrich Meinecke|Meinecke]]<ref>Friedrich Meinecke, ''Die Entstehung des Historismus'', 1936.</ref>, mais aussi par les [[Historicisme (économie)|économistes]] [[Friedrich List|List]], [[Bruno Hildebrand|Hildebrand]], [[Karl Knies|Knies]] ou [[Gustav von Schmoller|Schmoller]], et dominante dans la seconde moitié du {{XIXe siècle}}. Désireux d'ériger l'histoire au rang de science rigoureuse, ces auteurs défendent plusieurs principes communs : l'historien doit établir les faits tels qu'ils se sont produits et saisir le passé dans sa singularité par rapport aux autres époques, sans chercher à émettre un jugement de valeur ; toute entreprise de systématisation doit être rejetée au profit d'une recherche des causes immédiates des événements. S'inspirant de la pensée de [[Johann Gottfried von Herder|Herder]], ils appellent à considérer chaque époque en elle-même et rejettent toute philosophie [[téléologie|téléologique]] de l'histoire. Cet historicisme applique à la méthode historique les concepts du [[positivisme]]<ref>Christophe {{sfn|Bouton, ''Le procès de l'histoire, fondements et postérité de l'idéalisme historique'', |2004, |p. =254.</ref>|loc=|id=}}. Par ailleurs, rejetant l'[[universalisme]] de l'[[école classique]], ils considèrent que chaque cas national doit être étudié à part, pour parvenir à la connaissance<ref name=lakehal206>{{Ouvrage |langue= |auteur1= Mokhtar Lakehal, ''|titre=Dictionnaire de science politique. Les 1500 termes politiques et diplomatiques'', Pairs,|sous-titre= |lieu= Paris|éditeur= L'Harmattan,|collection= |année= 2005,|volume= 430|tome= |pages, totales=430 |passage= p. 206 {{ISBN|isbn=2747587630 |lire en ligne= }}.</ref>.
En revanche, [[Louis Althusser]] vise la conception [[Georg Wilhelm Friedrich Hegel|hégélienne]] de l'histoire quand il parle d'historicisme<ref>Louis Althusser, « Le marxisme n'est pas historicisme », ''[[Lire le Capital]]'', tome 1, 1968.</ref>{{,}}<ref>Christophe Bouton, ''Op. cit.'', p. 255-256.</ref>.
 
De son côté, [[Ernst Troeltsch]] définit, en [[1922]], dans ''Der Historismus und seine Probleme'', l'historicisme comme « l'historicisation fondamentale de toute notre pensée sur l'homme, sa culture et ses valeurs. » Selon lui, ce n'est pas l'esprit humain qui, en façonnant ses pensées et ses valeurs, oriente l'histoire, mais le contexte historique qui les détermine<ref>Christophe {{sfn|Bouton, ''Le procès de l'histoire, fondements et postérité de l'idéalisme historique'', |2004, |p. =254-255.</ref>|loc=|id=}}.
Quant à [[Karl Popper]], mettant sous ce vocable les pensées de [[Platon]], [[Georg Wilhelm Friedrich Hegel|Hegel]] et [[Karl Marx|Marx]]<ref>Mokhtar Lakehal, ''Op. cit.'', 2005, p. 206.</ref>, il donne cette définition de l'historicisme dans ''Misère de l'historicisme'' (1944)<ref>Karl Popper, ''Misère de l'historicisme'', Plon, 1955.</ref> :
 
C'est cette seconde acception de l'historicisme que la plupart des penseurs du {{XXe siècle}} ont retenu. Ainsi, [[Raymond Aron]] en parle comme de « la doctrine qui proclame la relativité des valeurs et des philosophies aussi bien que de la connaissance historique »<ref>Raymond Aron, ''La Philosophie critique de l'histoire, 1938</ref>. Pour sa part, [[Leo Strauss]] critique le relativisme de cet historicisme, dont il fait remonter l'origine à l'école historique allemande du {{XIXe siècle}}<ref>Christophe {{sfn|Bouton, ''Le procès de l'histoire, fondements et postérité de l'idéalisme historique'', |2004, |p. =255.</ref>|loc=|id=}}.
:« Qu'il me suffise de dire que j'entends par [historicisme] une théorie, touchant toutes les sciences sociales, qui fait de la ''prédiction historique'' son principal but, et qui enseigne que ce but peut être atteint si l'on découvre les « rythmes » ou les « motifs » (''patterns''), les « lois », ou les « tendances générales » qui sous-tendent les développements historiques. »
 
En revanche, [[Louis Althusser]] vise la conception [[Georg Wilhelm Friedrich Hegel|hégélienne]] de l'histoire quand il parle d'historicisme<ref>Louis Althusser, «et Leil marxismecritique nl'estattribution pasde historicismecette »,vision de l'histoire à la pensée de [[Marxisme|Marx]] dans un chapitre de son œuvre : ''[[Lire le Capital]]'', tomeau 1,titre 1968.explicite : « Le marxisme n'est pas historicisme »</ref name="Althusser"/>{{,}}<ref>Christophe {{sfn|Bouton, ''Op. cit.'', |2004|p. =255-256.</ref>|loc=|id=}}.
 
Quant à [[Karl Popper]], mettant sous ce vocable les pensées de [[Platon]], [[Georg Wilhelm Friedrich Hegel|Hegel]] et [[Karl Marx|Marx]]<ref>Mokhtar Lakehal, ''Op. cit.'', 2005, p. 206.<name=lakehal206/ref>, il donne cette définition de l'historicisme dans ''Misère de l'historicisme'' (1944)<ref>Karl Popper, ''Misère de l'historicisme'', Plon, 1955.</ref> :
{{Citation bloc|Qu'il me suffise de dire que j'entends par [historicisme] une théorie, touchant toutes les sciences sociales, qui fait de la ''prédiction historique'' son principal but, et qui enseigne que ce but peut être atteint si l'on découvre les « rythmes » ou les « motifs » (''patterns''), les « lois », ou les « tendances générales » qui sous-tendent les développements historiques. »}}
 
Il s'agit donc d'envisager l'histoire comme le développement d'un processus identifié et déterminé, que l'on devine à l'aide du passé, et qui permet de déterminer le futur. Selon Karl Popper, le [[marxisme]] est l'historicisme le plus abouti, qui fait explicitement de la lutte des classes le moteur de l'histoire.
 
Pour [[Christophe Bouton]], « Popper sème la confusion en définissant l'historicisme comme une doctrine qui affirme la prédictibilité de l'histoire à partir de lois générales, ce que nient tant l'historicisme [[épistémologie|épistémologique]] que l'historicisme relativiste »<ref>Christophe {{sfn|Bouton, ''Op. cit.'', |2004|p. =255, |loc=note 2.</ref>|id=}}.
 
Pour sa part, [[George W. Stocking]] reprend la définition de l'historicisme épistémologique dans son article « On the limits of "presentism" and "historicism" in the historiography of the behavioral sciences » (1965), où il met en garde les historiens contre l'abus des [[récurrence]]s et des [[anachronisme]]s propres au point de vue des vainqueurs et leur oppose l'historicisme méthodologique, qui permet d'appréhender une « raisonnabilité » et des modalités du savoir distinctes<ref>{{Ouvrage |langue= |auteur1=[[Claude Blanckaert]]|directeur1=oui (dir.),|titre= ''L'Histoire des sciences de l'Homme. Trajectoire, enjeux et questions vives'',|sous-titre= |lieu=Paris, |éditeur=L'Harmattan, |collection= |année= 1999,|volume= 308|tome= |pages, totales=308 |passage=p. 13 {{ISBN|isbn= 2738483216|lire en ligne= }}.</ref>.
 
De même, en [[1998]], [[Laurent Mucchielli]] considère qu'{{Citation|être historiciste ou tout simplement historien, c'est comprendre que les textes ont des contextes, que les discours ont été pensés et prononcés à l'intention d'un auditoire, que les articles et les livres ont été pensés et écrits à l'intention d'un lectorat, que les grands hommes quels qu'ils furent ont eu des professeurs et n'ont pas tout inventé, qu'ils ont reproduit comme les autres les préjugés et les stéréotypes culturels les plus généraux de leur époque, qu'ils ont eu les mêmes faiblesses narcissiques (bien souvent plus que les autres...), bref qu'ils furent simplement des hommes et surtout des hommes de leur temps}}<ref>Laurent Mucchielli, ''La découverte du social : naissance de la sociologie en France, 1870-1914'', Paris, La Découverte, 1998.</ref>{{,}}<ref>Claude {{sfn|Blanckaert (dir.), ''Op. cit.'', |1999, |p. =13-14.</ref>|loc=|id=}}.
 
== Discussion ==
 
Certains auteurs font le lien entre le développement de l'historicisme et du [[positivisme]] et les égarements des [[idéologie]]s modernes de l'autonomisation de la volonté du [[Sujet (philosophie)|Sujet]]. Un [[Eric Voegelin|Voegelin]], un [[Karl Löwith]] ou un [[Leo Strauss]] n'hésitent pas à voir dans la pensée moderne l'expression d'un historicisme, réalisé par [[Georg Wilhelm Friedrich Hegel|Hegel]] et [[Auguste Comte|Comte]].
 
Selon Jeffrey Andrew Barash, l'historicisme débute en Allemagne au {{XVIIIe siècle}}, notamment à partir des écrits du jeune [[Johann Gottfried Herder]]. En mettant en question les prétentions des Lumières, puis de la Révolution française, à pouvoir réorganiser l'ordre socio-politique grâce à une raison abstraite qui s'appliquerait uniformément à toute nation, l'historicisme naissant à partir de Herder, de [[Friedrich von Gentz]] et de [[Wilhelm von Humboldt]] vise à légitimer une pluralité de critères du vrai selon le contexte singulier de leur élaboration linguistique et nationale. Après avoir joué un rôle décisif dans la naissance des différentes idéologies politiques traditionnelles au cours du {{XIXe siècle}}, Barash identifie dans les déplacements ultérieurs de la réflexion sur l'histoire les signes de grandes mutations idéologiques qui rendent notamment possible les mythologies politiques du totalitarisme<ref>cf. l'ouvrage de Jeffrey Andrew Barash, ''Politiques de l'histoire : l'historicisme comme promesse et comme mythe'', éd. Presses universitaires de France, 2004, notamment pp{{p. |9}} et 10 ; [https://www.amazon.fr/Politiques-lhistoire-LHistoricisme-comme-promesse/dp/2130536441/ref=pd_sxp_f_r présentation de l'éditeur].</ref>.
 
== Les critiques de l'historicisme ==
=== La notion ===
La critique porte sur le fait que la représentation d'un tel développement de la ''raison'' dans l'Histoire, non seulement est contradictoire en soi (si chaque époque révèle un particularisme qui doit être dépassé, la [[modernité]] est une telle époque), mais aboutit aussi à rendre relatives les figures historiques dans lesquelles la ''raison'' s'est montrée.
 
La critique porte sur le fait que la représentation d'un tel développement de la ''raison'' dans l'Histoire, non seulement est contradictoire en soi (si chaque époque révèle un particularisme qui doit être dépassé, la [[modernité]] est une telle époque), mais aboutit aussi à rendre relatives les figures historiques dans lesquelles la ''raison'' s'est montrée.
 
Le [[relativisme]] propre à l'historicisme tend à déconsidérer comme ''choses du passé'' les philosophies antérieures, pour ne privilégier que ce qui arrive ''en dernier''. Non seulement l'historicisme est aliéné à la [[conscience historique]], mais tend à faire le lit de l'idée selon laquelle les ''Modernes'' comprennent mieux les auteurs du passé, que ceux-ci ne se comprenaient eux-mêmes. Cette appréhension surplombante du passé, en tant qu'elle réinterprète l'histoire à la faveur des opinions du présent et sous le mode du [[relativisme]], préfigure le [[nihilisme]], et par sa distinction entre faits et valeurs, l'éclatement de la philosophie en [[sciences humaines]].
 
L'[[historien des religions]] [[Mircea Eliade]] reproche à la démarche historiciste d'être trop contextualisante et de refuser la valeur [[heuristique]] des [[Structuralisme|structures]], un des fondements du [[comparatisme religieux]]<ref>{{ouvrage|auteur1=[[Mircea Eliade]]|auteur2=[[Raffaele Pettazzoni]]|titre=L'histoire des religions a-t-elle un sens ? Correspondance 1926-1959|éditeur=Cerf|date=1994|passage=59}}</ref>.
Selon l'[[encyclique]] ''[[Fides et ratio]]'', pour comprendre correctement une doctrine du passé, il est nécessaire que celle-ci soit replacée dans son contexte historique et culturel. Toutefois, l'encyclique dit aussi que la connaissance historique ne peut pas aboutir à la négation des vérités immuables et éternelles.
 
=== Les critiques libéralesdu libéralisme classique ===
{{Article détaillé|Historicisme (économie)}}
La critique de l'historicisme, proche de la critique du [[scientisme]] ou [[positivisme]] est un thème récurrent de la pensée [[Libéralisme classique|libérale classique]] au XX<sup>e</sup> sieclesiècle. [[Friedrich Hayek]], en plus de [[Popper]] et [[Ludwig von Mises]], s'en est fait l'écho. La crainte des adeptes de la [[Libéralisme classique|philosophie politique]] est que le nihilisme [[Positivisme|positif]] et historiciste conduise au [[Totalitarisme|totalitarisme.]]. [[Hannah Arendt]] se montre hostile à l'historicisme — qu'elle entend comme une hypertrophie du principe de [[Raison (Hegel)|raison]]<ref>{{Article |langue=fr|auteur1=Pierre Bouretz |lien auteur1=Pierre Bouretz |titre=Le totalitarisme : un concept philosophique |périodique=Communisme |numéro=47/48 |date=1996 |isbn=9782825110164 |pages=39 }}</ref> — insiste sur le rôle de la philosophie de l'histoire dans l'avènement des régimes totalitaires<ref>{{Ouvrage|nom1langue=Arendt, en|auteur1=[[Hannah, 1906-1975, autor.Arendt]]|titre=The origins of totalitarianism|isbnéditeur=9780241316757|isbn2année=02413167582017|oclc=1120528375|lirepages en lignetotales=http://worldcat.org/oclc/1120528375752|consulté leisbn=2019978-100-23241-31675-7|isbn2=0241316758|oclc=1120528375}}</ref>.
 
L'économiste [[Libéralisme économique|libéral]] [[Ludwig von Mises]] présente en 1957<ref>Dans son livre ''Théorie et histoire : une interprétation de l'évolution économique et sociale'' publié en 1957, consultable en ligne : [http://herve.dequengo.free.fr/Mises/TH/TH10.htm site de Hervé de Quengo].</ref> l'historicisme comme une [[doctrine]] [[épistémologie|épistémologique]] par essence hostile à l’[[Économie (discipline)|économie]]. D'après lui, l’historicisme rejette toutes sources de connaissance – hormis les [[science naturelle|sciences naturelles]], la [[logique]] et les [[mathématiques]] – qui ne seraient pas fondées sur l’étude de l’histoire, au premier rang desquelles l’économie. L’historiciste estime que l’erreur fondamentale de l’économie est de croire que l’homme recherche exclusivement son bien-être matériel. Mises conteste que l’économie prêche une telle croyance : toute action humaine s’expliquerait par un jugement de valeur des individus. Ainsi le coût, qui pour les historicistes est un élément propre aux sociétés capitalistes, serait en réalité « un élément de tout type d'action humaine, quelles que soient les caractéristiques du cas particulier. Le coût est la valeur des choses auxquelles l'acteur renonce afin de parvenir à ce qu'il veut : c'est la valeur qu'il attache à la satisfaction désirée de façon la plus pressante parmi les satisfactions qu'il ne peut avoir parce qu'il en a préféré une autre. C'est le prix payé pour une chose ».
 
Mises postule ainsi que, croyant pouvoir appliquer les méthodes des sciences naturelles à l’histoire, l’historiciste recherche les lois qui gouverneraient l’histoire. S’étant fixé un objectif impossible, les lois que l'historiciste énonce ne sont dès lors que le produit de son intuition, peu importe que « [[Georg Wilhelm Friedrich Hegel|Hegel]] et, par-dessus tout [[Karl Marx|Marx]] se considéraient comme parfaitement informés des lois de l'évolution historique ».
 
== Historicisme (architecture) ==
L'historicisme en [[Historicisme (style)|architecture]], d'où dérive l'''[[éclectisme (architecture)|éclectisme]]'', désigne la tendance apparue au {{s-|XIX}} de retrouver les racines nationales des différents styles européens, surtout [[Allemagne|allemand]], [[Bavière|bavarois]], [[Empire russe|russe]], [[Scandinavie|scandinave]], par opposition au [[architecture néoclassique|style néoclassique]] et de manière plus large que le [[néogothique]] ou le romantisme en vogue. Il se déclinemanifeste, en fonction du programme (un parlement, une gare, un musée, ...) par des références explicites à des styles produits à certaines périodes historiques "nationales" - des styles historiques nationaux qui servent de références aux nationalismes naissants et bien identifiées par les peuples, au {{s-|XIX}} - par opposition aux non références nationales, mais fonctions du programme - comme le néo-antique, néo-classique pour un palais de justice, une gare centrale ou néo-égyptien, pour de grandes serres ou un musée, néo-assyrien pour une très grande gare{{etc}}<ref>{{Ouvrage |auteur=Claude Mignot |titre=L'architecture au XIXe siècle |éditeur=Paris : Éditions du "Moniteur" ; Fribourg : Office du livre |année=1983 |pages totales=326 |format livre=31 cm |passage=10 (sur le rapport entre programme et style, mais aussi p. 14 sqq, pour le néo-classique, p. 48 sqq, pour le gothique, etc.) |isbn1=2-8264-0104-1 |isbn2=2-281-15079-8 |sudoc=000648612 |lire en stylesligne= régionaux}}</ref>.
 
== Historicisme (histoire du droit)<ref>{{Article|langue=français|auteur1=Xavier Prevost|titre=Mos gallicus jura docendi, La réforme humaniste de la formation des juristes|périodique=Revue historique de droit français et étranger|date=décembre 2011|lire en ligne=https://www.academia.edu/15005111/Mos_gallicus_jura_docendi_La_r%C3%A9forme_humaniste_de_la_formation_des_juristes|accès url=libre|format=pdf|pages=491}}</ref> ==
==Notes et références==
Juridiquement parlant, l'historicisme désigne un courant de pensée fondé par [[François Baudouin]] et [[Jacques Cujas]] dans le cadre de l'[[humanisme juridique]]. Critiquant les travaux des [[glossateurs]] et [[postglossateurs]] [[Mos italicus|italiens]], ceux-là plébiscitent pour un retour aux sources et une remise en contexte historique du [[droit romain]]. Contrairement aux juristes médiévaux, ils ne voient pas en le [[Digeste]] une source juridique intemporelle et universelle mais une simple compilation d'extraits. Leurs travaux ont notamment permis de reconstituer le [[Code de Théodose|Code Théodosien]] et les [[Loi des Douze Tables|XII Tables]].
<references />
 
== Notes et références ==
{{Références}}
 
== Bibliographie ==
* [[{{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Karl Raimund|nom1=Popper]]|lien :auteur1=Karl ''Popper|titre=Misère de l'historicisme'' et ''[[La société ouverte et ses ennemis]]''|éditeur=Plon|date=1956}}
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Ludwig von|nom1=Mises|lien auteur1=Ludwig von Mises|titre=Théorie et Histoire|sous-titre=Une interprétation de l'évolution économique et sociale|éditeur=Institut Coppet|date=1957|partie=III|numéro chapitre=10|titre chapitre=L'historicisme}}
* [[Ludwig von Mises]] : ''Théorie et Histoire'' (Chapitre 10 de la troisième partie, ''L'historicisme''), [http://herve.dequengo.free.fr/Mises/TH/TH10.htm traduction en français par Hervé de Quengo]
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Jean-François |nom1=Malherbe,|lien ''auteur1=Jean-François Malherbe|titre=La philosophie de Karl Popper et le positivisme logique'', |éditeur=Presses universitaires de Namur, |date=1976, 313 p. {{ISBN|2870370016isbn=978-2-87037-001-8}}
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Christophe |nom1=Bouton, ''|titre=Le procès de l'histoire, fondements|sous-titre=Fondements et postérité de l'idéalisme historique'', de Hegel|éditeur=Vrin, |date=2004, 319 p. {{ISBN|271161655Xisbn=978-2-7116-1655-8}}.
* {{chapitre|prénom1=Adrien|nom1=Barrot|lien Barrot,auteur1=Adrien «Barrot|titre chapitre=La Critique de l'historicisme|auteurs », in ouvrage=Laurent Jaffro,|titre ''[[ouvrage=Leo Strauss]], art d'écrire, politique, philosophie : texte|sous-titre=Texte de 1941 et études'', |éditeur=Vrin, |année=2001, 322 p. {{ISBN|isbn=2711614697}}
* [[Jean-Paul II]] : ''[[Fides et Ratio]]'' - [[encyclique]] publiée le {{date-|14 septembre 1998}} sur la façon d'interpréter l'Histoire, comportant une critique de l'historicisme.
* {{Ouvrage|langue=fr|prénom1=Jeffrey Andrew |nom1=Barash, ''|titre=Politiques de l'histoire. |sous-titre=L'historicisme comme promesse et comme mythe'', Paris, |éditeur=Presses Universitairesuniversitaires de France, |date=2004.|isbn=978-2-13-053644-4}}
 
== Voir aussi ==
 
=== Articles connexes ===
* ''Notions induites''
** [[Libéralisme classique]]
** [[Millénarisme]]
** [[Nihilisme]]
** [[Positivisme]]
** [[Épistémologie]]
** [[Utopie technologique]]
* ''Biographies concernées''
** [[Jean-Baptiste Vico]]
** [[Joachim de Flore]]
** [[Georg Wilhelm Friedrich Hegel|Hegel]]
** [[Friedrich Wilhelm Nietzsche|Nietzsche]]
** [[Martin Heidegger|Heidegger]]
** [[Karl Löwith]]
** [[Eric Voegelin]]
** [[Leo Strauss]]
** [[Auguste Comte]]
** [[Michel Villey]]
** [[Benedetto Croce]]
 
* ''Art connexe''
** [[Peinture historique]]
 
=== Liens externes ===
* {{Autorité}}
* {{Dictionnaires}}
* {{Bases}}
 
{{Portail|philosophie|histoire}}
 
[[Catégorie:Courant philosophiqueépistémologique]]
[[Catégorie:Historiographie]]
[[Catégorie:Philosophie de l'histoire]]
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