Vedettes de Cherbourg

affaire liée à la vente de matériel militaire entre la France et Israël
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Les « vedettes de Cherbourg » sont des navires qui furent l'enjeu d'une des affaires les plus surprenantes de détournement de matériel militaire français. Le détournement eut lieu au départ de Cherbourg, dans la nuit de Noël 1969, quand les vedettes commandées par Israël furent dirigées vers cet État malgré l'embargo sur les armes qui le visait.

Trajet des vedettes depuis Cherbourg jusqu'en Israël.

Faits

En 1965, la France passe un contrat (composé de deux contrats signés les 26 juillet 1965 et 14 mars 1966) avec l'État d'Israël pour la vente de douze vedettes ou plutôt canonnières lance-missiles (les patrouilleurs de classe Sa'ar III capables de tenir tête aux canonnières livrées par les Russes à l'Égypte de Nasser)[1]. Le contrat ne porte cependant que sur la livraison des navires dépourvus de leur système d'armes, celui-ci étant installé par Israël. C'est un chantier naval de Cherbourg, les Constructions mécaniques de Normandie (CMN) fondées par Félix Amiot qui est chargé de l'exécution de la commande. Mais après la Guerre des Six Jours, le général de Gaulle décrète un embargo sur la vente d'armes à destination d'Israël. Cependant cet embargo sélectif ne touche que les armes offensives et épargne les vedettes pour l'instant avant une extension de cet embargo décidée après le raid israélien sur l’aéroport de Beyrouth en décembre 1968[2].

 
Vedette de type Sa'ar 3.

La première vedette est lancée le 11 avril 1967[3]. Cinq de ces vedettes sont livrées avant l'embargo ; deux, en essais au moment de l'embargo, profitent de ces essais pour rallier Israël ; le vice-amiral Bouillaut, préfet de la 1re région maritime, fait amarrer les cinq autres dans le port de commerce, dans une darse civile appartenant aux CMN, en face des bureaux de Félix Amiot. [pourquoi ?] [réf. souhaitée] Hors du port militaire, leur évasion devient alors possible[4].

Une ruse est alors mise au point : une société d'apparence « norvégienne » (son représentant est Martin Siem (en)), la Starboat and Oil Drilling Company, créée à Panama pour la circonstance le 15 octobre 1969[5], demande à la France et à Israël de récupérer les vedettes car ces navires, sans armement, l'intéressent, prétendûment pour faire de la recherche pétrolière en mer du Nord. L'État hébreu accepte d'autant plus facilement qu'il est à l'origine de la manœuvre par le biais de ses services secrets : l’enlèvement des navires destinés à l'État juif est une opération appelée « arche de Noé »[6]. Il fournit même les équipages. Dans la nuit du 24 au 25 décembre, vers h du matin, les vedettes appareillent malgré le mauvais temps, avec à leur bord cent cinquante marins et officiers israéliens (ils participaient à la mise au point de ces vedettes avec les CMN) supervisés par l'amiral Mordechai Limon, chef de la mission d'achat israélienne en France. Après avoir été ravitaillées deux fois en mer, elles arrivent triomphalement à Haïfa[7], où elles sont accueillies par le ministre de la Défense Moshe Dayan le jour de l'An[2].

Hypothèses sur l'attitude de la France

Selon l'historien Pierre Razoux, le gouvernement français est informé des intentions israéliennes par l'intermédiaire de ses services de renseignements, mais laisse faire (un tiers du paiement étant déjà fait, les deux tiers restants étant soldés à la livraison, soit cinq milliards de francs, ce qui aurait laissé la trésorerie des chantiers Amiot exsangue en cas de non-livraison), saisissant ce prétexte pour officialiser des contrats [Quoi ?] d'armements préalablement conclus avec certains États arabes[8].

Mordechai Limon, architecte de l'opération[9], affirme pour sa part que Michel Debré a cherché au contraire à arrêter les vedettes à tout prix[10], et a donné l'ordre de les couler, ne reculant que devant la menace de démission de son chef d'état-major[11].

Médiatisation

L'affaire est révélée, le vendredi 26 décembre 1969, par une dépêche de l'Agence centrale de presse (ACP), à l'initiative du journaliste de Cherbourg Guy Mabire de La Presse de la Manche dont le directeur, ami personnel de Félix Amiot, lui a interdit les jours précédents de révéler les tenants de l'affaire[12]. L'information connaît un retentissement mondial. Le ministre français de la défense, Michel Debré, pressé de trouver des responsables, sanctionne le vice-amiral Bouillaut (préfet maritime de Cherbourg), le général Cazelles (secrétaire général de la défense nationale) et l'ingénieur général Bonte (directeur des affaires internationales à la délégation militaire pour l'armement), président et rapporteur la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériel de guerre (CIEEMG), chargée de garantir la régularité de ces exportations. Cela n'empêche pas la France d'être la risée des chancelleries[13].

Conséquences

La politique de neutralité mise en place par de Gaulle et poursuivie par Pompidou fut ainsi sauvegardée, l'armée israélienne et les armées arabes ayant toutes deux été fournies avec du matériel français. À la suite de cette affaire, les Israéliens se tournent vers les États-Unis pour importer leurs armes (avant la France fournissait 90 % des avions de chasse israéliens [Information douteuse]) et développent leur industrie de l'armement[réf. souhaitée] Les chantiers Amiot, grâce à cette médiatisation, reçoivent les années suivantes des commandes de ce type de patrouilleurs par la Grèce, la Malaisie, la RFA, l'Iran ou la Libye[12].

Notes et références

  1. Jean-René Fenwick, Les Vedettes de Cherbourg, Elsevier Séquoia, , p. 26.
  2. a et b Olivier Brunet, documentaire « Étranges affaires - L'affaire des vedettes de Cherbourg », France 3, 16 avril 2012.
  3. La douzième et dernière est lancée le 16 décembre 1969.
  4. Jean-René Fenwick, Les Vedettes de Cherbourg, Elsevier Séquoia, , p. 122.
  5. Jean-René Fenwick, Les Vedettes de Cherbourg, Elsevier Séquoia, , p. 207.
  6. Jean-René Fenwick, Les Vedettes de Cherbourg, Elsevier Séquoia, , p. 131.
  7. La première vedette est devenue aujourd'hui la pièce maîtresse de son musée.
  8. Pierre Razoux, « L'affaire des vedettes de Cherbourg : pourquoi Paris a laissé faire ? », Historia, no 647,‎ .
  9. « Moka Limon (1924-2009) Disparition d'un héros israélien qui irrita beaucoup la France… »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?)
  10. Rapt à Cherbourg, Justin Lecarpentier
  11. The Times of Israel — L’episode des vedettes de Cherbourg.
  12. a et b Jean Lebrun, « Les vedettes de Cherbourg en route vers Israël », émission La Marche de l'Histoire sur France Inter, 16 avril 2012.
  13. Antoine Sanguinetti, « Main basse sur les crédits militaires français », sur www.monde-diplomatique.fr, le Monde diplomatique, .

Sources et bibliographie

Ouvrages

Articles

  • « Les vedettes de Cherbourg », Paris Match, no 1079, 10 janvier 1970.
  • « Services secrets : les vedettes de Cherbourg », Historia, no 289, décembre 1970.
  • « Les dessous de l'affaire des vedettes de Cherbourg », Historama, no 241, 1971.
  • Jean-Yves Brouard, « La fuite des vedettes de Cherbourg », Le Marin, 28 décembre 1984.
  • « L'affaire des vedettes de Cherbourg », Historia, no 475, 1986.

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Vidéos

Radio

  • « Les vedettes de Cherbourg en route vers Israël] », La marche de l'histoire, France Inter émission du .
  • « La mystérieuse disparition des vedettes de Cherbourg », Affaires sensibles, France Inter émission du .