Aller au contenu

« Jacques Derrida » : différence entre les versions

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Contenu supprimé Contenu ajouté
Leszek Jańczuk (discuter | contributions)
→‎Philosophie : critq citn refrnc
Ligne 127 : Ligne 127 :


{{...}}
{{...}}

=== La question de l'« animal »===

L'« animalité » est pour le philosophe une question sensible et centrale de la [[déconstruction]] et de son œuvre <ref name=vjdlqa/>, ne serait-ce parce qu'elle met en jeu l'hypothétique « propre de l'homme » <ref name=vjdlqa/> construit par la [[métaphysique]] et la [[théologie]] occidentales au cours des derniers siècles ; le terme « [[animal]] », au singulier, est rejeté par Derrida dans sa ''généralité'', – parce qu'il est une « simplification conceptuelle » vue comme un premier geste de « répression violente » à l'égard des animaux de la part des hommes, et qui consiste à faire une césure totale entre l'humanité et l'animalité, et un regroupement tout aussi injustifié entre des animaux qui demeurent des vivants radicalements différents les uns des autres, d'une espèce à une autre <ref name=vjdlqa>http://www.youtube.com/watch?v=Ry49Jr0TFjk</ref>.

''L'animal que donc je suis'' est d'ailleurs le dernier ouvrage de Jacques Derrida, publié à titre posthume et édité par Marie Louise Mallet à partir de textes, d’enregistrements de conférences. Il y conduit une critique de la pensée de [[Descartes]], de [[Kant]], [[Lévinas]], [[Lacan]] et [[Heidegger]], et y rappelle la question du philosophe anglais [[Jeremy Bentham]], qu'il considère essentielle, au sujet des animaux : « peuvent-ils souffrir ? » (qui revient à dire, pour Derrida « Peuvent-ils ''ne pas'' pouvoir ? (...) Pouvoir souffrir n'est plus un pouvoir, c'est une possibilité sans pouvoir, une possibilité de l'impossible »<ref name=laqdjs/>) :

{{citation bloc|« ''Can they suffer ?'' », la réponse ne fait aucun doute. Elle n'a d'ailleurs jamais laissé aucun doute ; c'est pourquoi l'expérience que nous en avons n'est pas même indubitable : elle précède l'indubitable, elle est plus vieille que lui. Point de doute, non plus, pour la possibilité, alors, en nous, d'un élan de compassion, même s'il est ensuite méconnu, refoulé ou dénié, tenu en respect. Devant l' ''indéniable'' de cette réponse, (oui, ils souffrent, comme nous qui souffrons pour eux et avec eux), devant cette réponse qui précède toute autre question, la problématique change de sol et socle.(...) Les deux siècles auxquels je me réfère un peu grossièrement pour situer notre présent à cet égard, ce sont les deux siècles d'une lutte inégale, d'une guerre en cours et dont l'inégalité pourrait un jour s'inverser, entre, d'une part, ceux qui violent non seulement la vie animale mais jusqu'à ce sentiment de compassion et, d'autre part, ceux qui en appellent au témoignage irrécusable de cette pitié.<ref name=laqdjs/>|''L'animal que donc je suis'', Jacques Derrida.}}

Derrida voit donc dans les rapports de l'homme avec l'animal une « guerre » qu'il faut désormais ''penser'' <ref name=laqdjs/>, du fait même des « proportions ''sans précédent'' de cet assujettissement de l'animal » <ref name=laqdjs>''l'animal que donc je suis'', Jacques Derrida, éd. Galilée</ref> né « de la violence industrielle, mécanique, chimique, hormonale, génétique, à laquelle l'homme soumet depuis deux siècles la vie animale » <ref name=laqdjs/>, violence à l'encontre des animaux comparée par le philosophe à la [[Droits des animaux et Shoah|Shoah]], même si :

{{citation bloc|De la figure du [[génocide]] il ne faudrait ni abuser ni s'acquitter trop vite. Car elle se complique ici : l'anéantissement des espèces, certes, serait à l'œuvre, mais il passerait par l'organisation et l'exploitation d'une survie artificielle, infernale, virtuellement interminable, dans des conditions que des hommes du passé auraient jugées monstrueuses, hors de toutes les normes supposées de la vie propre aux animaux ainsi exterminés dans leur survivance ou dans leur surpeuplement même.<ref name=laqdjs/>|''L'animal que donc je suis'', Jacques Derrida.}}

Le philosophe affirme que cet « assujettissement ''sans précédent'' de l'animal » a été finalisé conceptuellement par l'[[idéalisme transcendantal]] qui désire la maîtrise totale de la nature et de l'« animal » par l'homme et à ses seuls fins, et, s'appuyant sur l'œuvre de [[Theodor W. Adorno]], fait valoir la « fascisation du sujet » par la haine [[ontologie|ontologique]] de l'« animal » par [[Kant]] :

{{citation bloc|Pour un système idéaliste, les animaux jouent virtuellement le même rôle que les [[Juif]]s pour un système fasciste, dit-il [Adorno]. Les animaux seraient les Juifs des idéalistes qui ne seraient ainsi que des fascistes virtuels. Et ce [[fascisme]] commence quand on insulte un animal, voire l'animal dans l'homme. L'idéalisme authentique consiste à ''insulter'' l'animal dans l'homme ou à traiter un homme d'animal. (...) Adorno ne va pas jusqu'à dire que l'idéaliste insulte l'animal, mais il insulte le matérialiste ou il insulte l'homme en le traitant d'animal, ce qui implique que « animal » est une insulte.|''L'animal que donc je suis'', Jacques Derrida.}}

La haine idéaliste à l'encontre des animaux (ou plutôt de l'« [[animal]] »), correspond pour Derrida au [[schème (philosophie)|schème]] d'une même [[logique]], celle de la « [[antisémitisme|haine du Juif]] (...) haine de la [[féminité]], voire de l'[[enfance]] <ref name=laqdjs/> ».


== Critiques et postérité ==
== Critiques et postérité ==

Version du 29 août 2010 à 20:51

Jacques Derrida
Naissance
Décès
Sépulture
Cimetière de Ris-Orangis (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité
Formation
Influencé par
Conjoint
Marguerite Derrida (de à )Voir et modifier les données sur Wikidata
Enfants
Pierre Alferi
Daniel Agacinski (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Distinctions
Prix Theodor-W.-Adorno ()
Harry Oppenheimer Fellowship Award (en) ()Voir et modifier les données sur Wikidata

Jacques Derrida, né Jackie Derrida le à El Biar (Algérie française) et mort le à Paris, est un philosophe français qui a initié puis développé la déconstruction. À la suite de Heidegger, Derrida cherche à dépasser la métaphysique traditionnelle et ses résonances dans les autres disciplines (motif de la déconstruction).

Toute son œuvre consiste à interroger et « déconstruire » inlassablement les couples d'oppositions telles que parole/écriture dans la linguistique, raison/folie dans la psychanalyse, sens propre/sens figuré dans la littérature, masculin/féminin dans la théorie des genres ; oppositions qui correspondent à l'opposition ontologique première[1] sensible/intelligible, et ses multiples déclinaisons : intérieur/extérieur, rationnel/irrationnel, sens/non-sens, fondateur/fondé.

L'origine de toutes ces différences conceptuelles, mais qui n'est pas véritablement une origine (sans quoi l'on retrouverait l'opposition origine/dérivation, tributaire des couples d'oppositions citées précédemment), est la différance avec un a, concept sur lequel Derrida s'explique dans une conférence introductive au recueil d'articles Marges – de la philosophie (1972)[2].

Biographie

Jacques Derrida est le troisième fils d’Aimé Derrida et de Georgette Sultana Esther Safar[3], une famille juive d'Algérie dont les aieux établis depuis des siècles en Algérie avaient reçu la nationalité française lors de la promulgation du Décret Crémieux en 1870[4].

Il grandit en Algérie et subit les lois de Vichy en 1940 lorsque sa famille est déchue pendant deux ans de la nationalité française[5]. De 1935 à 1941, il va à l'école maternelle et primaire d'El-Biar. Les enfants sont obligés de manifester leur attachement au Maréchal de multiples manières. Derrida en qualité de juif doit laisser au deuxième de la classe sa place pour le lever de drapeau. Son frère et sa sœur ont été exclus de l'école pour la même raison[6]. En 1941, il est lui-même exclu du lycée Ben Aknoun et il est inscrit jusqu'en 1943 au lycée Émile-Maupas, mais il ne supporte pas l'atmosphère communautaire. Il retourne au Lycée Ben Aknoun en 1944.

Derrida connaît ainsi, durant sa jeunesse, une scolarité mouvementée. Il voit les métropolitains comme oppresseurs et normatifs, normalisateurs et moralisateurs. Sportif, il participe à de nombreuses compétitions sportives et rêve de devenir footballeur professionnel. Mais c'est aussi à cette époque qu'il découvre et lit des philosophes et écrivains comme Jean-Jacques Rousseau, Friedrich Nietzsche, André Gide et Albert Camus. Il commence à écrire un « journal intime ». En 1947-1948, en classe de philosophie au Lycée Gauthier d'Alger, il lit Bergson et Sartre. En 1948, inscrit en lettres supérieures au Lycée Bugeaud, il est marqué par la lecture de Kierkegaard et Heidegger[7].

En 1949, il vient en France pour étudier en classe de première supérieure au lycée Louis-le-Grand à Paris, où il se lie d'amitié avec Pierre Bourdieu, Michel Deguy ou Louis Marin. Son professeur de philosophie Etienne Borne trouve que ses dissertations sont « plotiniennes[7] ». Il entre – après deux échecs – à l'École normale supérieure en 1952. Il y fait la rencontre de Louis Althusser, qui exerce comme « caïman ». Derrida milite dans des groupes d'extrême gauche non communiste.

Après sa licence ès lettres à l'Université de Paris, il part aux Archives Husserl de Louvain en 1953-1954. Il obtient le diplôme d'études supérieures en philosophie avec un mémoire concernant Le problème de la genèse dans la philosophie de Husserl[8], influencé par les travaux de Jean Hyppolite, Jean Cavaillès et Tran Duc Thao[9]. Il suit les cours de Michel Foucault.

Reçu au concours d'agrégation de philosophie de 1956, après un échec en 1955, il part à l'université Harvard comme special auditor. Il commence la traduction et l'introduction de L'origine de la géométrie de Husserl. Il se marie en juin 1957 avec Marguerite Aucouturier, une psychanalyste qu'il a rencontrée en 1953 par l'intermédiaire de son frère qui étudiait avec lui à l'École normale.

Il effectue son service militaire de 1957 à 1959 (en pleine guerre d'Algérie) comme enseignant dans une école d'enfants de troupe près d'Alger[8]. Leur premier fils naît six ans plus tard. Il rencontre souvent Pierre Bourdieu à Alger. Il condamne la politique coloniale de la France et espère une forme d'indépendance pour l'Algérie où pourraient coexister les Algériens et les Français d'Algérie[10].

En 1959, Derrida est affecté au lycée Montesquieu du Mans en classe de lettres supérieures et est invité à la première décade de Cerisy-la-Salle (cycle de conférences auquel il sera invité quatre fois). Il fait son premier voyage à Prague pour rendre visite à la famille de son épouse.

L'année suivante il devient assistant à la faculté des lettres de l'université de Paris. Il enseigne à la Sorbonne jusqu'en 1964 ("philosophie générale et logique"). Il publie à cette époque dans les revues Critique et Tel Quel et se lie d'amitié avec Philippe Sollers. Il fréquente également Robert Antelme, Pierre Boulez, Jean Genet, Pierre Klossowski, Francis Ponge et Nathalie Sarraute.

En 1961, il obtient le prix Jean-Cavaillès (prix d'épistémologie) pour son livre sur l' Origine de la géométrie d'Edmund Husserl.

En 1963, il donne une conférence au Collège philosophique sur Michel Foucault en sa présence et critique sa thèse sur la folie à propos de Descartes[11].

En 1964 il est nommé maître-assistant d'histoire de la philosophie à l'Ecole normale supérieure sur recommandation d'Althusser et Jean Hyppolite[12]. Il conserve ce poste pendant vingt ans.

Sa participation au colloque de Baltimore à l'Université Johns Hopkins marque le début de ses fréquents voyages aux États-Unis et de l'introduction de la nouvelle pensée française sur le continent américain. La polémique débute en Amérique entre les partisans et les adversaires de la "déconstruction". Derrida rencontre à cette occasion Jacques Lacan et Paul de Man.

En 1967, ses trois premiers livres sont publiés (c'est aussi l'année de la naissance de son deuxième fils Jean). Il prononce une conférence à la Société française de philosophie sur "La différance" et publie ses trois grands livres : De la grammatologie, L'écriture et la différence, La voix et le phénomène. Il côtoie régulièrement Edmond Jabès, Gabriel Bounoure ou Maurice Blanchot et s'associe progressivement à Jean-Luc Nancy, Philippe Lacoue-Labarthe et Sarah Kofman. Les éditions Galilée sont fondées à cette époque et deviennent la « voix » de la déconstruction.

Derrida participe aux défilés de Mai 1968 et organise la première assemblée générale à l'Ecole normale supérieure.

Il est accueilli avec une grande hospitalité aux États-Unis, il enseigne dans des dizaines d'universités tandis que son travail se heurte en France à une opposition massive[13].

En 1971, il revient en Algérie après neuf ans d'absence. Il y donne cours et conférence.

En 1974, il met en place un Groupe de Recherches sur l'Enseignement Supérieur Philosophique (GREPH) et s'engage contre la Loi Haby de 1975.

En 1975, il devient professeur invité à l'université Yale puis à l'université Cornell comme A. D. White Professor-at-large.

En 1978, Jacques Derrida prend l'initiative de lancer les États généraux de la philosophie à la Sorbonne. Il s'implique de plus en plus dans des actions politiques, domaine qu'il avait apparemment écarté de sa vie professionnelle (il est resté en retrait par rapport aux événements de mai 1968). Ainsi, il soutient toute sa vie la cause démocratique en Afrique du Sud, ce qu'il nomme "l'admiration" de Nelson Mandela; un de ses ultimes textes, in articulo mortis, est consacré au sujet de la réconciliation (Commission de la vérité et de la réconciliation).

En 1980, en vue de poser sa candidature au poste de professeur laissé vacant par Paul Ricoeur à l'université Paris-X, Derrida soutient à l'université Paris-I une thèse[14] pour le doctorat d'Etat sur la base d'un ensemble d'anciens travaux des années 1967 et 1972[15]. Le poste à Paris-X fut cependant supprimé par la ministre Alice Saunier-Séïté.

En 1981, il fonde l'association Jean-Hus avec Jean-Pierre Vernant qui aide les intellectuels tchèques dissidents. Il sera arrêté et brièvement emprisonné à Prague (des agents des services tchèques ont dissimulé de la drogue dans ses bagages) à la suite d'un séminaire clandestin. C'est François Mitterrand qui le fera libérer.

Il fonde le Collège international de philosophie en 1983 avec François Chatelet, Jean Pierre Faye et Dominique Lecourt. L'une des traces les plus visibles dans son travail de ce que certains ont considéré comme sa "politisation" aura été la publication en 1993 de Spectres de Marx.

En 1984, alors toujours maître-assistant, il devient directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales. En 1984, un enfant naît de sa relation hors mariage avec Sylviane Agacinski.

Il est Distinguished Professor en philosophie, français et littérature comparée à l'Université de Californie à Irvine aux États-Unis à partir de 1986.

En 1995, Jacques Derrida est membre du comité de soutien à Lionel Jospin. Mais il refuse de l'être en 2002, en raison notamment du jugement qu'il porte sur la politique du gouvernement socialiste sur l'immigration. Sylviane Agacinski écrit dans son Journal interrompu, publié après la défaite de Jospin : « Je lis le 23 mai dans Libération que Jacques Derrida n'a pas voté au premier tour "par mauvaise humeur contre tous les candidats" ».

À partir de 2003, Jacques Derrida souffre d'un cancer du pancréas et réduit considérablement ses conférences et ses déplacements. Il meurt le dans un hôpital parisien, à l'âge de 74 ans.

Philosophie

La différance

La différance est précisément le mouvement "producteur" de ces différences : elle est le "processus" par lequel les signifiants se substituent à l'infini, entrainant le besoin d'un idéal qui porterait son sens au langage. [réf. nécessaire]. Contemporain du structuralisme, Derrida a repensé la différence qui, chez Ferdinand de Saussure[réf. nécessaire], donne sens aux éléments signifiants, par rapport à la répétition de la trace durable de l'institution d'un signifié, comme absence au cœur de la présence. Aussi, la « trace »[réf. nécessaire] ne permet pas de remonter à une quelconque origine : les concepts diffèrent, ne sont jamais pleinement en eux-mêmes et sont intriqués malgré leurs apparentes oppositions : il n'y a aucune vérité première externe puisque le supplément constitue l'origine, il n'y a aucune différence transcendantale à poursuivre[réf. nécessaire].

La déconstruction

Derrida a la réputation d'être un écrivain difficile, exigeant pour son lecteur, même pour des philosophes. Son style est dense, il pratique de nombreux jeux de mots et affectionne les allusions. Sa lecture, souvent déconcertante et nécessitant de nombreuses relectures, révèle des ouvertures sur l'avenir de la philosophie. Sa remise en cause d'Husserl et plus largement de la philosophie occidentale le conduit à déconstruire l'approche phénoménologique : pour lui, l'écrit a longtemps été négligé au profit de la parole. Il fait alors la chasse aux impasses méthodologiques. Ce travail prend place dans l'introduction de l'Origine de la Géométrie.

De Platon (Phèdre) à Rousseau et Lévi-Strauss, il dénonce la primauté traditionnelle de la parole, conçue comme « vie » et « présence », sur l’écriture[réf. nécessaire]. Il désigne ce système métaphysique comme logocentrisme, voire phallogocentrisme[réf. nécessaire]. Il « déconstruit » donc la métaphysique occidentale, fondée sur la détermination de l’être en tant que présence, en mettant à jour les présupposés qui la sous-tendent et les apories auxquelles elle mène.

En particulier, il s'agit de découvrir, dans les textes de la tradition, l'articulation binaire de concepts que la métaphysique prétend distinguer dans leur pureté :

Chacune de ces oppositions est complice des autres et constitue un ensemble de valeurs qui dépassent le cadre philosophique : cette binarité est proprement politique[réf. nécessaire] et dévalorise systématiquement l'un des termes, pensé comme « accident », « parasite », « excrément ».

Or, le langage, même oral, ne signifie qu’en impliquant mort ou absence du référent[16] : l'itérabilité qui fonde la possibilité du signe inscrit à même celui-ci la coupure de son « origine », la décontextualisation, l'absence du locuteur. Le sens suppose en son cœur absence de référent et de la conscience, car il se déploie dans l’intervalle qui les sépare, dans la convention linguistique qui rend tout signe par définition détachable de son contexte.

Cependant, le travail de la déconstruction assume de ne jamais se libérer pleinement de ce qu’elle démystifie[réf. nécessaire] : elle travaille à même les concepts, en joue pour les jouer contre eux-mêmes, cherche à déplacer les oppositions sans prétendre les anéantir.

Le désir de présence qui habite le désir de sens (que la chose visée soit donnée en tant que telle dans la visée) est contradictoire, puisque le sens n'émerge que dans sa « mortifère »[réf. nécessaire] itérabilité.

Derrida éprouve un cœur d’opacité au cœur du rationnel, identifié comme défaut nécessaire et originaire de présence, comme écart originaire.

Il s’agit, selon François-David Sebbah[réf. nécessaire], d’éprouver et non de produire des résultats positifs.

La trace

L'écriture a été dévalorisée, car matérielle mais source d'erreur : en inscrivant une trace coupée de son énonciateur, elle se détache de la vive voix, seule source de vérité.

La dissémination

Le don

L'événement

La question de l'« animal »

L'« animalité » est pour le philosophe une question sensible et centrale de la déconstruction et de son œuvre [17], ne serait-ce parce qu'elle met en jeu l'hypothétique « propre de l'homme » [17] construit par la métaphysique et la théologie occidentales au cours des derniers siècles ; le terme « animal », au singulier, est rejeté par Derrida dans sa généralité, – parce qu'il est une « simplification conceptuelle » vue comme un premier geste de « répression violente » à l'égard des animaux de la part des hommes, et qui consiste à faire une césure totale entre l'humanité et l'animalité, et un regroupement tout aussi injustifié entre des animaux qui demeurent des vivants radicalements différents les uns des autres, d'une espèce à une autre [17].

L'animal que donc je suis est d'ailleurs le dernier ouvrage de Jacques Derrida, publié à titre posthume et édité par Marie Louise Mallet à partir de textes, d’enregistrements de conférences. Il y conduit une critique de la pensée de Descartes, de Kant, Lévinas, Lacan et Heidegger, et y rappelle la question du philosophe anglais Jeremy Bentham, qu'il considère essentielle, au sujet des animaux : « peuvent-ils souffrir ? » (qui revient à dire, pour Derrida « Peuvent-ils ne pas pouvoir ? (...) Pouvoir souffrir n'est plus un pouvoir, c'est une possibilité sans pouvoir, une possibilité de l'impossible »[18])  :

« « Can they suffer ? », la réponse ne fait aucun doute. Elle n'a d'ailleurs jamais laissé aucun doute ; c'est pourquoi l'expérience que nous en avons n'est pas même indubitable : elle précède l'indubitable, elle est plus vieille que lui. Point de doute, non plus, pour la possibilité, alors, en nous, d'un élan de compassion, même s'il est ensuite méconnu, refoulé ou dénié, tenu en respect. Devant l' indéniable de cette réponse, (oui, ils souffrent, comme nous qui souffrons pour eux et avec eux), devant cette réponse qui précède toute autre question, la problématique change de sol et socle.(...) Les deux siècles auxquels je me réfère un peu grossièrement pour situer notre présent à cet égard, ce sont les deux siècles d'une lutte inégale, d'une guerre en cours et dont l'inégalité pourrait un jour s'inverser, entre, d'une part, ceux qui violent non seulement la vie animale mais jusqu'à ce sentiment de compassion et, d'autre part, ceux qui en appellent au témoignage irrécusable de cette pitié.[18] »

— L'animal que donc je suis, Jacques Derrida.

Derrida voit donc dans les rapports de l'homme avec l'animal une « guerre » qu'il faut désormais penser [18], du fait même des « proportions sans précédent de cet assujettissement de l'animal » [18] né « de la violence industrielle, mécanique, chimique, hormonale, génétique, à laquelle l'homme soumet depuis deux siècles la vie animale » [18], violence à l'encontre des animaux comparée par le philosophe à la Shoah, même si :

« De la figure du génocide il ne faudrait ni abuser ni s'acquitter trop vite. Car elle se complique ici : l'anéantissement des espèces, certes, serait à l'œuvre, mais il passerait par l'organisation et l'exploitation d'une survie artificielle, infernale, virtuellement interminable, dans des conditions que des hommes du passé auraient jugées monstrueuses, hors de toutes les normes supposées de la vie propre aux animaux ainsi exterminés dans leur survivance ou dans leur surpeuplement même.[18] »

— L'animal que donc je suis, Jacques Derrida.

Le philosophe affirme que cet « assujettissement sans précédent de l'animal » a été finalisé conceptuellement par l'idéalisme transcendantal qui désire la maîtrise totale de la nature et de l'« animal » par l'homme et à ses seuls fins, et, s'appuyant sur l'œuvre de Theodor W. Adorno, fait valoir la « fascisation du sujet » par la haine ontologique de l'« animal » par Kant :

« Pour un système idéaliste, les animaux jouent virtuellement le même rôle que les Juifs pour un système fasciste, dit-il [Adorno]. Les animaux seraient les Juifs des idéalistes qui ne seraient ainsi que des fascistes virtuels. Et ce fascisme commence quand on insulte un animal, voire l'animal dans l'homme. L'idéalisme authentique consiste à insulter l'animal dans l'homme ou à traiter un homme d'animal. (...) Adorno ne va pas jusqu'à dire que l'idéaliste insulte l'animal, mais il insulte le matérialiste ou il insulte l'homme en le traitant d'animal, ce qui implique que « animal » est une insulte. »

— L'animal que donc je suis, Jacques Derrida.

La haine idéaliste à l'encontre des animaux (ou plutôt de l'« animal »), correspond pour Derrida au schème d'une même logique, celle de la « haine du Juif (...) haine de la féminité, voire de l'enfance [18] ».

Critiques et postérité

Réception américaine

« Héros culturel » aux États-Unis selon Jean-Louis Hue du Magazine Littéraire, il a reçu 21 fois un doctorat Honoris causa, de plusieurs universités. Derrida déclarait avant sa mort au journal L'Humanité : « Je n'ai jamais fait de longs séjours aux États-Unis, le plus clair de mon temps ne se passe pas là-bas. Cela dit, la réception de mon travail y a été effectivement plus généreuse, plus attentive, j'y ai rencontré moins de censure, de barrages, de conflits qu'en France. »[19]. Son oeuvre constitue l'un des piliers de la French Theory.

Derrida bénéficie d'une reconnaissance qui va au-delà du monde universitaire. Par exemple, le film de Woody Allen Deconstructing Harry (en 1997, traduit en français par Harry dans tous ses états) est une référence directe aux travaux de cet auteur — « référence » que Derrida jugera d'ailleurs pauvre et décevante au regard de la complexité de ce « concept ».

Derrida est un philosophe rejeté par la très grande partie de la tradition analytique. Ses premiers travaux de portée internationale sont vivement critiqués. Dans son essai sur le philosophe anglais John L. Austin et sa théorie des actes de langage[20], Derrida est accusé de s'entêter à énoncer d'évidentes contre-vérités, notamment par le philosophe américain John Searle[21] et d'autres[22]. Nombreux sont les philosophes qui se sont élevés contre le doctorat honoris causa que lui a décerné l'Université de Cambridge en 1992, reprochant aux travaux de Derrida « leur inadéquation aux standards de clarté et de rigueur ».

Œuvres

Jacques Derrida est l'auteur de plus de 80 ouvrages.

  • Le problème de la genèse dans la philosophie de Husserl, Paris, coll. «Epiméthée», PUF, 1990. Rééd. 2010.
Mémoire pour son diplôme d'études supérieures en philosophie à l'École normale supérieure, en 1953-1954.

Filmographie

Jacques Derrida a fait des apparitions dans deux films :

Deux films lui sont consacrés :

  • D'ailleurs Derrida de Safaa Fathy, en 2000
  • DerridaDerrida de Kirby Dick et Amy Ziering Kofman, en 2002

Un film s'est inspiré de sa philosophie :

Références

  • (en) Leslie Hill, The Cambridge Introduction to Jacques Derrida, Cambridge University Press, coll. « Cambridge Introductions to Literature », .
  • (en) Marian Hobson, Jacques Derrida, Taylor and Francis, .
  • (en) John Sallis, Deconstruction and Philosophy : The Texts of Jacques Derrida, University of Chicago Press, .

Voir aussi

Articles connexes

Sur Derrida et son œuvre

Essais

  • Manola Antonioli (dir.), Abécédaire de Jacques Derrida, Sils Maria, 2007 (ISBN 2-930242-56-6).
  • Geoffrey Bennington et Jacques Derrida, Jacques Derrida, Seuil, 1991.
  • Grégoire Biyogo, Adieu à Jacques Derrida : Enjeux et perspectives de la déconstruction, Paris, l'Harmattan, 2005.
  • Mireille Calle-Gruber, Jacques Derrida, la distance généreuse, La Différence, 2009.
  • Mustapha Cherif et Jacques Derrida, L'Islam et l'Occident : Rencontre avec Jacques Derrida, Odile Jacob, 2006.
  • Mustapha Cherif, Jean-Luc Nancy, Silvanio Santiago, René Major, Actes Sud, 2008.
  • Pierre Daviot, A Jacques Derrida, Les carnets de psychanalyse, Errata, 1998.
  • Thomas Dutoit, Philippe Romanski et Collectif, Derrida d'ici, Derrida de là, Galilée, 2009.
  • Marc Goldschmit, Jacques Derrida, une introduction, Pocket, 2003.
  • Marc Goldschmit, Une langue à venir. Derrida, l'écriture hyperbolique, Lignes-Manifestes, 2006.
  • Sarah Kofman, Lectures de Derrida, Paris, Galilée, « Débats », 1984. (ISBN 2-7186-0251-1)
  • René Major, Lacan avec Derrida, Flammarion (Champs-Sciences), 2001.
  • François Nault, Derrida et la théologie. Dire Dieu après la déconstruction, Paris, Cerf, 2000.
  • Fred Poché, Penser avec Jacques Derrida : Comprendre la déconstruction, Chronique Sociale, 2007.
  • Charles Ramond, Vocabulaire de Derrida, Ellipses, 2001.
  • Charles Ramond, Derrida : la déconstruction, PUF, 2008.
  • Philippe Sergeant, Deleuze, Derrida : Du danger de penser, La Différence, 2009.
  • Peter Sloterdijk, Derrida, un Égyptien : Le problème de la pyramide juive, Maren Sell, 2006.
  • Ginette Michaud, Battements – du secret littéraire. Lire Jacques Derrida et Hélène Cixous. Volume 1, collection Le Bel Aujourd'hui, Éditions Hermann, 2010.
  • Collectif, Penser avec Jacques Derrida, Rue Descartes (Collège International de Philosophie), Presses Universitaires de France, no. 52, mai 2006, sous la direction de Joseph Cohen. Avec les contributions de: Evelyne Grossmann, Serge Margel, Marc Crépon, Joseph Cohen, Gérard Bensussan, Stéphane Habib, Raphael Zagury-Orly. Dialogue entre Jacques Derrida, Jean-Luc Nancy et Philippe Lacoue-Labarthe (Strasbourg, mercredi 9 juin 2004).

Colloques

  • Jacques Derrida et l'Algérie, (Alger, 2006), sous la direction de Mustapha Cherif, Bibliothèque Nationale d'Alger, 2006.
  • L'Ethique du don. Jacques Derrida et la pensée du don, (Royaumont 1990), sous la direction de Jean-Michel Rabaté et Michael Wetzel, Métailié-Transition, 1992.
  • Le passage des frontières - autour du travail de Jacques Derrida, (Cerisy-la-Salle, 1992), sous la direction de Marie-Louise Mallet, Galilée, 1994.
  • L'Animal autobiographique - autour de Jacques Derrida, (Cerisy-la-Salle, 1997), sous la direction de Marie-Louise Mallet, Galilée, 1999.
  • Judéités - questions pour Jacques Derrida, (Paris, 2000), sous la direction de Joseph Cohen et Raphael Zagury-Orly, Galilée, 2003.
  • Ghostly Demarcations. A Symposium on Jacques Derrida's Specters of Marx (New York, 1998), sous la direction de Michael Sprinker, Editions Verso, 1999.
  • La démocratie à venir - autour de Jacques Derrida, (Cerisy-la-Salle, 2002), sous la direction de Marie-Louise Mallet, Galilée, 2004.
  • Derrida, la tradition de la philosophie, Colloque d'octobre 2005 organisé par Jean-François Courtine, Francis Wolff et Frédéric Worms. Galilée, 2008.
  • Déconstruire, dit-il... Autour de Jacques Derrida, (Maison de la Recherche de l'Université de Paris IV, 20-23 mai 2009) Comité scientifique: Joseph Cohen, Werner Hamacher, Felix Heidenreich, Jean-Luc Nancy, Raphael Zagury-Orly
  • Derrida par une trace itérable [en arabe], (Ministère de la Culture, Royaume du Bahrein, 10-13 août 2009), Comité scientifique: Mohammad Ahmad Al Banki, Safaa Fathy.

Articles

Liens externes

Sur les autres projets Wikimedia :

Notes et références

  1. Première signifie ici : ouvrant l'histoire de l'être, histoire destinale, c'est-à-dire ni chronologique, ni logique. Cf. Heidegger, Être et temps, 1927.
  2. Jacques Derrida, "la différence", in Marges - de la philosophie (Paris: Les Éditions de Minuit, 1972), p. 1 à 29. Il s'agit de la retranscription d'une conférence prononcée le 27 janvier 1968 à la Société française de philosophie
  3. Geoffrey Bennington, Jacques Derrida, University of Chicago Press, 1999
  4. "J’ai participé à une transformation extraordinaire du judaïsme français d’Algérie: mes arrière-grands-parents étaient encore très proches des Arabes par la langue, les coutumes, etc. Après le décret Crémieux (1870), à la fin du XIXe siècle, la génération suivante s’est embourgeoisée ", «Je suis en guerre contre moi-même», Jacques Derrida, Le Monde, 19.08.2004
  5. "Moi, L’Algérien" de Jacques Derrida, Le Nouvel Observateur, N°2192
  6. Marc Goldschmidt, Jacques Derrida : une introduction, 2003, p. 230
  7. a et b Goldschmidt (2003), p. 231
  8. a et b « Biographie », sur Site Jacques Derrida (consulté le )
  9. Alan D. Schrift, Twentieth-Century French Philosophy (Key Themes and Thinkers)
  10. Goldschmidt (2003), P. 233
  11. Derrida, "Cogito et Histoire de la Folie", dans L'écriture et la différence, Seuil, 1967, p. 51-97. Le texte est publié d'abord dans la Revue de métaphysique et de morale en 1964
  12. Jacques Derrida par Jason Powell
  13. Goldschmidt (2003), P. 234
  14. L'Inscription de la philosophie : recherches sur l'interprétation de l'écriture : thèses soutenue sur un ensemble de travaux
  15. Jason Powell, Jacques Derrida: A Biography, Continuum, 2006.
  16. Cf. notamment la lecture du séminaire de la Lettre volée de Lacan, dans La Carte Postale, de Socrate à Freud et au-delà, Flammarion, 1980.
  17. a b et c http://www.youtube.com/watch?v=Ry49Jr0TFjk
  18. a b c d e f et g l'animal que donc je suis, Jacques Derrida, éd. Galilée
  19. Jérôme-Alexandre Nielsberg, "Entretien avec Jacques Derrida - Penseur de l’événement", L'Humanité, 28 janvier 2004
  20. « Signature, événement, contexte », dans Marges - de la philosophie, 1972.
  21. John Searle, Pour réitérer les différences, réponse à Derrida, 1991, éd. L'éclat.
  22. « Il faut se résoudre à admettre que les positions de Derrida, quelle que soit leur célébrité et quel qu'ait été leur impact intellectuel, sont totalement inconsistantes. Non seulement nous n'avons pas besoin de pseudo-concepts comme ceux de différance ou d'archi-écriture, mais leur utilisation conduit à de graves errements. » précisent notamment Sylvain Auroux, Jacques Deschamps, Djamel Kouloughi, La philosophie du langage, PUF, coll. « Quadrige », 2004, p. 80.