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« Pra-Esperanto » : différence entre les versions

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{{Article général|Histoire de l'espéranto}}
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Un '''pré-espéranto''' ('''Pra-Esperanto''' ou '''Praesperanto''' en espéranto) est une des deux langues sur lesquelles a travaillé [[Louis-Lazare Zamenhof]], créateur de l’[[espéranto]], avant de travailler sur ce dernier. Connue sous le nom de '''Lingwe uniwersala''' et '''Lingvo universala''' (ou parfois Praesperanto I et II), ces langues permettent de comprendre comment Zamenhof en est venu à la création de l’espéranto. Bien que tous les manuscrits de Zamenhof sur ces deux langues aient été brulés, les corpus existants ont permis d’en extraire deux grammaires, pour pouvoir les comparer à celle de l’espéranto.
Un '''pré-espéranto''' ('''Pra-Esperanto''' ou '''Praesperanto''' en espéranto) est une des deux langues sur lesquelles a travaillé [[Louis-Lazare Zamenhof]], créateur de l’[[espéranto]], avant de travailler sur ce dernier. Connue sous le nom de '''Lingwe uniwersala''' et '''Lingvo universala''' (parfois Praesperanto I et II ou Praesperanto 1878 et 1881), ces langues permettent de comprendre comment Zamenhof en est venu à la création de l’espéranto. Bien que tous les manuscrits de Zamenhof sur ces deux langues aient été brulés, les corpus existants ont permis d’en extraire deux grammaires, pour pouvoir les comparer à celle de l’espéranto.


== La ''Lingwe uniwersala'' de 1878 ==
== La ''Lingwe uniwersala'' de 1878 ==
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La première hypothèse est que la prononciation des mots de l’hymne est plus ou moins comme en espéranto{{Sfn|Kiselman|2011|p=50}}. Tous les [[Phonologie de l'espéranto|phonèmes de l’espéranto]], à l’exception de {{MSAPI|/t͡ʃ/}}, {{MSAPI|/d͡ʒ/}}{{Note|nom=Lettre-ĝ|groupe=N}}, {{MSAPI|/x/}}, {{MSAPI|/ʒ/}}, {{MSAPI|/ʃ/}}, {{MSAPI|/w/}} (correspondant respectivement aux lettres ''ĉ'', ''ĝ'', ''ĥ'', ''ĵ'', ''ŝ'' et ''ŭ''), sont présents dans la Lingwe uniwersala{{Sfn|Kiselman|2011|p=50}}. Le son {{MSAPI|/v/}} est écrit en utilisant la lettre ''w'', plutôt que la lettre ''v'', comme c’est le cas en espéranto{{Sfn|Kiselman|2011|p=50}}.
La première hypothèse est que la prononciation des mots de l’hymne est plus ou moins comme en espéranto{{Sfn|Kiselman|2011|p=50}}. Tous les [[Phonologie de l'espéranto|phonèmes de l’espéranto]], à l’exception de {{MSAPI|/t͡ʃ/}}, {{MSAPI|/d͡ʒ/}}{{Note|nom=Lettre-ĝ|groupe=N}}, {{MSAPI|/x/}}, {{MSAPI|/ʒ/}}, {{MSAPI|/ʃ/}}, {{MSAPI|/w/}} (correspondant respectivement aux lettres ''ĉ'', ''ĝ'', ''ĥ'', ''ĵ'', ''ŝ'' et ''ŭ''), sont présents dans la Lingwe uniwersala{{Sfn|Kiselman|2011|p=50}}. Le son {{MSAPI|/v/}} est écrit en utilisant la lettre ''w'', plutôt que la lettre ''v'', comme c’est le cas en espéranto{{Sfn|Kiselman|2011|p=50}}.


La deuxième hypothèse est que l’[[accentuation tonique]] des mots sans accent aigu tombe sur l’avant-dernière syllabe : malami'''ke'''te, ho'''mo'''ze, fa'''mi'''lje, konuni'''ga'''re{{Sfn|Kiselman|2011|p=50}}{{,}}{{Sfn|Waringhien|1989|p=38}}. Concernant les verbes au présent et à l’impératif, dont les lettres finales sont accentuées, si les accents aigus sont intentionnels, il est possible que leur accentuation soit portée sur la dernière syllabe : ka'''dó''', es'''tá''', de'''bá'''{{Sfn|Waringhien|1989|p=38}}{{,}}{{Sfn|Kiselman|2011|p=50-51}}.
La deuxième hypothèse est que l’[[accent tonique]] des mots sans accent aigu tombe sur l’avant-dernière syllabe : malami'''ke'''te, ho'''mo'''ze, fa'''mi'''lje, konuni'''ga'''re{{Sfn|Kiselman|2011|p=50}}{{,}}{{Sfn|Waringhien|1989|p=38}}. Concernant les verbes au présent et à l’impératif, dont les lettres finales sont accentuées, si les accents aigus sont intentionnels, il est possible que leur accentuation soit portée sur la dernière syllabe : ka'''dó''', es'''tá''', de'''bá'''{{Sfn|Waringhien|1989|p=38}}{{,}}{{Sfn|Kiselman|2011|p=50-51}}.


==== Étymologie ====
==== Étymologie ====
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==== Classes grammaticales ====
==== Classes grammaticales ====
Le fait de marquer les [[Classe grammaticale|classes grammaticales]] par une même lettre finale est présente{{Sfn|Kiselman|2011|p=52}}. Ainsi, la finale -''e'' marque les substantifs singuliers (''malamikete'', ''homoze'', ''familje''). Le lettre -''s'' est la marque du pluriel (''nacjes''). La lettre -''a'' est la marque des adjectifs (''uniwersala''){{Sfn|Waringhien|1989|p=38}}. Les pronoms personnels finissent en -''o'' : ''so''{{Sfn|Waringhien|1989|p=38}}. C’est aussi le cas pour la conjugaison, qui ne semble admettre qu’une forme pour chaque temps : ''-á'' pour le présent (''está'', ''debá''), ''-ó'' pour l’impératif (''kadó'') et ''-are'' pour l’infinitif (''konunigare''){{Sfn|Kiselman|2011|p=51}}{{,}}{{Sfn|Waringhien|1989|p=38}}.
Le fait de marquer les [[Classe grammaticale|classes grammaticales]] par une même lettre finale est présent{{Sfn|Kiselman|2011|p=52}}. Ainsi, la finale -''e'' marque les substantifs singuliers (''malamikete'', ''homoze'', ''familje''). Le lettre -''s'' est la marque du pluriel (''nacjes''). La lettre -''a'' est la marque des adjectifs (''uniwersala''){{Sfn|Waringhien|1989|p=38}}. Les pronoms personnels finissent en -''o'' : ''so''{{Sfn|Waringhien|1989|p=38}}. C’est aussi le cas pour la conjugaison, qui ne semble admettre qu’une forme pour chaque temps : ''-á'' pour le présent (''está'', ''debá''), ''-ó'' pour l’impératif (''kadó'') et ''-are'' pour l’infinitif (''konunigare''){{Sfn|Kiselman|2011|p=51}}{{,}}{{Sfn|Waringhien|1989|p=38}}.


Il existe également un [[article défini]] : ''la'' au singulier et ''las'' au pluriel, et un pronom : ''so''{{Sfn|Kiselman|2011|p=51}}.
Il existe également un [[article défini]] : ''la'' au singulier et ''las'' au pluriel, et un pronom : ''so''{{Sfn|Kiselman|2011|p=51}}.


==== Accusatif ====
==== Accusatif ====
Il semble que, contrairement à l’espéranto, la Lingwe uniwersala est dépourvue d’[[accusatif]] : la traduction en espéranto proposée par Zamenhof fait apparaitre deux mots à l’accusatif, marqué par la lettre -''n'' (''{{Langue|eo|familion}}'' et ''{{Langue|eo|sin}}''){{Sfn|Kiselman|2011|p=51}}. Toutefois, dans le texte en Lingwe uniwersala, il n’existe pas une telle marque de l’accusatif{{Sfn|Kiselman|2011|p=51}}{{,}}{{Sfn|Waringhien|1989|p=38}}.
Il semble que, contrairement à l’espéranto, la Lingwe uniwersala soit dépourvue d’[[accusatif]] : la traduction en espéranto proposée par Zamenhof fait apparaitre deux mots à l’accusatif, marqué par la lettre -''n'' (''{{Langue|eo|familion}}'' et ''{{Langue|eo|sin}}''){{Sfn|Kiselman|2011|p=51}}. Toutefois, dans le texte en Lingwe uniwersala, il n’existe pas une telle marque de l’accusatif{{Sfn|Kiselman|2011|p=51}}{{,}}{{Sfn|Waringhien|1989|p=38}}.


==== Élision ====
==== Élision ====
{{Article connexe|Élision en espéranto}}
{{Article connexe|Élision en espéranto}}
La lettre finale des substantifs et des adjectifs peut être [[Élision|élidée]] : ''temp’'' et ''tot’''{{Sfn|Waringhien|1989|p=38}}.
La lettre finale des substantifs et des adjectifs peut être [[Élision|élidée]] : ''temp’'' et ''tot’''{{Sfn|Waringhien|1989|p=38}}.

==== Pronoms ====
À ses débuts, l’espéranto possédait le [[Pronom en espéranto|pronom]] de la seconde personne du singulier ''[[wikt:ci#eo|ci]]'' . Toutefois, celui-ci a été supprimé au profit de l’unique pronom ''[[wikt:vi#eo|vi]]''. Dans un réponse à une question concernant le pronom ''ci'', parue dans [[La Revuo|''La Revuo'']], Zamenhof écrit : « nous devrions par conséquent avoir un autre pronom de gentillesse (et ce type de pronom a effectivement existé en espéranto avant l’année 1878 »{{Sfn|Kiselman|2011|p=51}}. Kiselman s’interroge sur la date 1878 : se pourrait-il que se soit une erreur d’impression pour 1887{{Sfn|Kiselman|2011|p=51}} ? En effet, avant 1887, la langue de Zamenhof ne portait pas encore le nom d’« espéranto »{{Sfn|Kiselman|2011|p=51}}. Toutefois, Kiselman met en avant que Zamenhof a expérimenté l’utilisation d’un tel pronom dans les versions antérieures à l’espéranto{{Sfn|Kiselman|2011|p=51}}.


== La ''Lingvo universala'' de 1881 ==
== La ''Lingvo universala'' de 1881 ==
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=== Histoire ===
=== Histoire ===
[[Fichier:Ludoviko Lazaro Zamenhof ca 1885.png|vignette|Louis-Lazare Zamenhof, vers 1885.]]
[[Fichier:Ludoviko Lazaro Zamenhof ca 1885.png|vignette|Louis-Lazare Zamenhof, vers 1885.]]
{{référence nécessaire|bloc=oui|date=18 février 2024|
Zamenhof reprend son projet au retour de l'université, et améliore sa langue durant les années qui suivirent. Une grande partie de ses meilleures idées sont nées de la nécessité de traduire la littérature et la poésie d'autres langues. Un exemple de cette deuxième étape de la langue est l'extrait d'une lettre de [[1881]] :
Zamenhof reprend son projet au retour de l'université, et améliore sa langue durant les années qui suivirent. Une grande partie de ses meilleures idées sont nées de la nécessité de traduire la littérature et la poésie d'autres langues. Un exemple de cette deuxième étape de la langue est l'extrait d'une lettre de [[1881]] :
:''Ma plej kara miko, kvan ma plekulpa plumo faktidźas tiranno pu to. Mo poté de cen taj brivoj kluri, ke sciigoj de fu-ći specco debé blessi tal fradral kordol…''
:''Ma plej kara miko, kvan ma plekulpa plumo faktidźas tiranno pu to. Mo poté de cen taj brivoj kluri, ke sciigoj de fu-ći specco debé blessi tal fradral kordol…''
Espéranto actuel : ''Mia plej kara amiko, neniam mia senkulpa plumo fariĝus tirano por vi. Mi povas de cent viaj leteroj konkludi, ke sciigoj de tiu ĉi speco devas vundi vian fratan koron…''
Espéranto actuel : ''Mia plej kara amiko, neniam mia senkulpa plumo fariĝus tirano por vi. Mi povas de cent viaj leteroj konkludi, ke sciigoj de tiu ĉi speco devas vundi vian fratan koron…''
:(Mon cher ami, comment ma plume est-elle devenue un tyran pour toi. De la centaine de tes lettres, je peux conclure que des annonces de ce genre doivent blesser ton cœur fraternel…)
:(Mon cher ami, comment ma plume est-elle devenue un tyran pour toi. De la centaine de tes lettres, je peux conclure que des annonces de ce genre doivent blesser ton cœur fraternel…)

En [[1887]], Zamenhof publie ''[[Langue Internationale]]'', où il décrit l'espéranto comme on le connaît aujourd'hui. Dans une lettre adressée à Nikolaï Borovko, il écrit :
J'ai travaillé durant six ans à perfectionner et essayer la langue, ce fut en 1887 qu'elle me parut complètement prête.
}}


=== Étude de la langue ===
=== Étude de la langue ===
[[Fichier:Lingvo Universala 1881.png|vignette|Première page du manuscrit de Zamenhof sur la Lingvo universala.]]
[[Fichier:Lingvo Universala 1881.png|vignette|Première page du manuscrit de Zamenhof sur la Lingvo universala.]]
L'alphabet comportait toutes les lettres suivantes :
a á b c ć d dź e é f g h ħ i j k l m n o ó p r s ś t u ŭ v z ź


==== Alphabet ====
Dans cette étape, ''v'' avait déjà remplacé ''w'' pour le son [v] ; le pluriel au nominatif était ''-oj'' à la place de ''-es'' ; les cas avaient été réduits à deux (même si le génitif ''-es'' existe toujours aujourd'hui, mais seulement pour les corrélatifs possessifs ou les voix simples). De plus, la forte influence slave pour l'orthographe (''ć'', ''dź'', ''ħ'', ''ś'', ''ź'' à la place de ''ĉ'', ''ĝ'', ''ĥ'', ''ŝ'', ''ĵ'') par rapport à la langue moderne et le suffixe accusatif ''-l'', certaines formes verbales possédaient l'accentuation tonique sur la dernière syllabe. (Alors qu'en espéranto, c'est toujours l'avant-dernière qui la porte.)
L'alphabet comporte toutes les lettres suivantes : a á b c ć d dź e é f g h ħ i j k l m n o ó p r s ś t u ŭ v z ź.


==== Prononciation ====
La conjugaison des verbes était : au présent ''-é'', au passé ''-u'', au futur ''-uj'', au conditionnel ''-á'', au [[jussif]] (impératif) ''-ó''. L'infinitif se terminait en ''-e'' ou en ''-i''.
La Lingvo universala a les mêmes [[Phonologie de l'espéranto|phonèmes que l’espéranto]]{{Sfn|Kiselman|2011|p=53}}. Pour Kiselman, l’[[accent tonique]] est, comme en espéranto, porté sur l’avant-dernière syllabe, sauf pour trois des six formes verbales, pour lesquelles l’accent tombe sur la dernière syllabe{{Sfn|Kiselman|2011|p=53}}.

==== Étymologie ====

==== Classes grammaticales ====

==== Mots-simples ====

==== Accusatif ====


==== Pronoms ====
Les pronoms personnels se terminaient en ''o'' (et en ''a'' pour les possessifs), mais il y avait des différences entre les sexes, y compris dans la troisième personne du pluriel :
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!Pronoms!!Singulier!!Pluriel
!pronoms de [[1881]]!!singulier!!pluriel
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| style="text-align:left;" |{{3e}} personne masculine||''ro, śo''||''po''
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|style="text-align:left;"|{{3e}} personne réflexive||colspan=2|''so''
| colspan="2" |''o''
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De nombreuses racines n'étaient pas les mêmes que dans la langue moderne. On trouvait ainsi ''kad-'' (du latin ''cado'') au lieu de ''fal-'', ''mik-'' au lieu de ''amik-'', et ''kord-'' au lieu de ''kor-''.

En [[1887]], Zamenhof publie ''[[Langue Internationale]]'', où il décrit l'espéranto comme on le connaît aujourd'hui. Dans une lettre adressée à Nikolaï Borovko, il écrit :
J'ai travaillé durant six ans à perfectionner et essayer la langue, ce fut en 1887 qu'elle me parut complètement prête.

[[Gaston Waringhien]], dans son livre ''[[Lingvo kaj Vivo]]'' ("Langue et vie"), analyse l'évolution de la langue en étudiant les manuscrits de [[1881]], [[1882]] et [[1885]].


== Notes et références ==
== Notes et références ==

Version du 18 février 2024 à 12:39

Un pré-espéranto (Pra-Esperanto ou Praesperanto en espéranto) est une des deux langues sur lesquelles a travaillé Louis-Lazare Zamenhof, créateur de l’espéranto, avant de travailler sur ce dernier. Connue sous le nom de Lingwe uniwersala et Lingvo universala (parfois Praesperanto I et II ou Praesperanto 1878 et 1881), ces langues permettent de comprendre comment Zamenhof en est venu à la création de l’espéranto. Bien que tous les manuscrits de Zamenhof sur ces deux langues aient été brulés, les corpus existants ont permis d’en extraire deux grammaires, pour pouvoir les comparer à celle de l’espéranto.

La Lingwe uniwersala de 1878

Photographie en noir et blanc d’un jeune homme.
Louis-Lazare Zamenhof en 1879, année de son départ vers Moscou.

Histoire

Le 17 décembre 1878, Louis-Lazare Zamenhof, alors âgé de 19 ans et en 8e classe du gymnasium de Varsovie[N 1], convie des camarades de classe à fêter officiellement la naissance de la langue[1]. Zamenhof leur présente des documents qu’il a écrit, dont un dictionnaire, une grammaire et des traductions[2],[3]. À cette occasion, ils chantent l’hymne de la langue, dont les quatre premiers vers sont les suivants[4] :

« Malamikete de las nacjes
Kadó, kadó, jam temp’ está!
La tot’ homoze in familje
Konunigare so debá.
 »

— Louis-Lazare Zamenhof, Letero pri la deveno de Esperanto

« Hostilité des nations,
Tombe, tombe, il est déjà temps
Toute l’humanité en une famille
Doit s’unir. »

— Maria Ziółkowska, Le Docteur Esperanto[5]

Ce passage est restitué par Zamenhof en 1895 dans sa lettre à Nikolaï Afrikanovitch Borovko[6]. Il constitue, avec le nom de la langue, la seule trace écrite sur la Lingwe uniwersala[7]. Christer Kiselman note une divergence d’accentuation de la lettre a : bien que le texte originel utilise des accents aigus (está, debá), d’autres textes utilisent des accents graves (està, debà) ou aucun accent (esta, deba)[4]. Zamenhof donne, dans la lettre à Borovko, une traduction en espéranto[N 2],[4] :

« Malamikeco de la nacioj
falu, falu, jam tempo estas!
La tuta homaro en familion
unuiĝi devas.
 »

— Louis-Lazare Zamenhof, Letero pri la deveno de Esperanto

Lorsque Louis-Lazare Zamenhof finit le gymnasium en juin 1879 et se prépare à aller à Moscou pour commencer ses études de médecine, son père, Markus Zamenhof, lui demande de lui remettre les documents concernant la Lingwe uniwersala. En effet, ce dernier estime les activités de son fils comme peu sérieuses en comparaison des études de médecine qui l’attendent et lui promet qu’il retrouvera ses documents intacts à son retour. Louis-Lazare Zamenhof remet à son père tous ses documents : dictionnaire, grammaire, œuvres originales et traductions. En 1881, il rentre chez ses parents, à Varsovie, pour y découvrir que son père, dans un accès de colère et malgré son engagement à les garder intacts, a brulé l’intégralité des documents. Louis-Lazare Zamenhof ressort de cet évènement libéré de l’emprise et de l’autorité de son père et motivé à retravailler sur son projet de langue internationale. En effet, bien qu’il se soit concentré sur ses études, il n’a rien oublié de ses travaux. Il se remet donc au travail. Toutefois, sa réflexion sur la langue a évolué durant ses deux années à Moscou, et la langue sur laquelle il se met à travailler n’est plus la Lingwe uniwersala, mais la Lingvo universala, deuxième étape vers la création de l’espéranto.

Étude de la langue

Malgré la petitesse du corpus, plusieurs textes proposent d’étudier les caractéristiques de la Lingwe uniwersala, dont le livre Lingvo kaj Vivo (eo) de Gaston Waringhien et l’article Variantoj de esperanto iniciatitaj de Zamenhof, de Christer Kiselman.

Pour Gaston Waringhien, la Lingwe uniwersala est basée sur trois principes qui se retrouvent également en espéranto : une grammaire le plus simple possible, des racines prises pour être internationales et une formation des mots par agglutination de racines invariables, d’affixes et de finales marquant la classe grammaticale[8]. D’après lui, la différence entre la Lingwe uniwersala et l’espéranto est que Zamenhof a appliqué les deux premiers principes avec plus de rigueur dans la conception de la Lingwe uniwersala[8]. Ce n’est que plus tard qu’il prendra en compte d’autres principes, comme la prosodie ou la clarté, qui vont parfois à l’encontre des trois premiers principes[8].

Alphabet

L’hymne contient toutes les lettres de l’espéranto, à l’exception des lettres accentuées (ĉ, ĝ[N 3], ĥ, ĵ, ŝ, ŭ) et de la lettre v[9],[8]. La langue comprend également d’autres lettres, absentes de l’alphabet de l’espéranto : ó et á (ou à) dans l’hymne, et w dans le nom de la langue[9]. La lettre w remplace la lettre v[8]. Il n’est pas possible de conclure que les lettres accentuées sont absentes de l’alphabet de langue[9].

Prononciation

Pour Christer Kiselman, nous ne savons rien à propos de la prononciation[4]. Toutefois, il est possible de faire plusieurs hypothèses[4].

La première hypothèse est que la prononciation des mots de l’hymne est plus ou moins comme en espéranto[4]. Tous les phonèmes de l’espéranto, à l’exception de /t͡ʃ/, /d͡ʒ/[N 3], /x/, /ʒ/, /ʃ/, /w/ (correspondant respectivement aux lettres ĉ, ĝ, ĥ, ĵ, ŝ et ŭ), sont présents dans la Lingwe uniwersala[4]. Le son /v/ est écrit en utilisant la lettre w, plutôt que la lettre v, comme c’est le cas en espéranto[4].

La deuxième hypothèse est que l’accent tonique des mots sans accent aigu tombe sur l’avant-dernière syllabe : malamikete, homoze, familje, konunigare[4],[8]. Concernant les verbes au présent et à l’impératif, dont les lettres finales sont accentuées, si les accents aigus sont intentionnels, il est possible que leur accentuation soit portée sur la dernière syllabe : ka, es, de[8],[10].

Étymologie

Les mots du corpus sont tous d’origine latine[9],[11]. Pour les racines, Zamenhof a préféré cadere à l’allemand fallen, qui donne fali en espéranto, ou encore debere au français devoir, qui donne devi en espéranto[11]. De plus, le suffixe -et-, utilisé dans malamikete, est plus proche du suffixe latin -it(as) que de l’italien -ezza, qui donne -ec- en espéranto[11]. Enfin, la terminaison à l’infinitif -are est une généralisation de l’infinitif du premier groupe en latin[11].

Le choix de la transcription des racines en Lingwe uniwersala a été influencé par la recherche d’une prononciation internationale[11]. L’utilisation de la lettre w pour noter le son /v/ semble être d’inspiration allemande ou polonaise[11]. La forme familje, plutôt que familio en espéranto, permet, comme en latin familia, en allemand Familie ou en français famille, d’avoir un accent tonique sur la syllabe mi et une : familje[11]. La forme nacje conserve l’accentuation du russe нация (nacija)[11].

La Lingwe uniwersala est, comme l’espéranto, agglutinante[9]. Ainsi, les mots sont formés par assemblage de morphèmes : mal-amik-et-e (mal-amik-ec-o en espéranto), hom-oz-e (hom-ar-o en espéranto), kon-un-ig-are (kun-unu-ig-i en espéranto)[9].

Classes grammaticales

Le fait de marquer les classes grammaticales par une même lettre finale est présent[12]. Ainsi, la finale -e marque les substantifs singuliers (malamikete, homoze, familje). Le lettre -s est la marque du pluriel (nacjes). La lettre -a est la marque des adjectifs (uniwersala)[8]. Les pronoms personnels finissent en -o : so[8]. C’est aussi le cas pour la conjugaison, qui ne semble admettre qu’une forme pour chaque temps : pour le présent (está, debá), pour l’impératif (kadó) et -are pour l’infinitif (konunigare)[9],[8].

Il existe également un article défini : la au singulier et las au pluriel, et un pronom : so[9].

Accusatif

Il semble que, contrairement à l’espéranto, la Lingwe uniwersala soit dépourvue d’accusatif : la traduction en espéranto proposée par Zamenhof fait apparaitre deux mots à l’accusatif, marqué par la lettre -n (familion et sin)[9]. Toutefois, dans le texte en Lingwe uniwersala, il n’existe pas une telle marque de l’accusatif[9],[8].

Élision

La lettre finale des substantifs et des adjectifs peut être élidée : temp’ et tot’[8].

Pronoms

À ses débuts, l’espéranto possédait le pronom de la seconde personne du singulier ci . Toutefois, celui-ci a été supprimé au profit de l’unique pronom vi. Dans un réponse à une question concernant le pronom ci, parue dans La Revuo, Zamenhof écrit : « nous devrions par conséquent avoir un autre pronom de gentillesse (et ce type de pronom a effectivement existé en espéranto avant l’année 1878 »[9]. Kiselman s’interroge sur la date 1878 : se pourrait-il que se soit une erreur d’impression pour 1887[9] ? En effet, avant 1887, la langue de Zamenhof ne portait pas encore le nom d’« espéranto »[9]. Toutefois, Kiselman met en avant que Zamenhof a expérimenté l’utilisation d’un tel pronom dans les versions antérieures à l’espéranto[9].

La Lingvo universala de 1881

Histoire

Louis-Lazare Zamenhof, vers 1885.

Zamenhof reprend son projet au retour de l'université, et améliore sa langue durant les années qui suivirent. Une grande partie de ses meilleures idées sont nées de la nécessité de traduire la littérature et la poésie d'autres langues. Un exemple de cette deuxième étape de la langue est l'extrait d'une lettre de 1881 :

Ma plej kara miko, kvan ma plekulpa plumo faktidźas tiranno pu to. Mo poté de cen taj brivoj kluri, ke sciigoj de fu-ći specco debé blessi tal fradral kordol…

Espéranto actuel : Mia plej kara amiko, neniam mia senkulpa plumo fariĝus tirano por vi. Mi povas de cent viaj leteroj konkludi, ke sciigoj de tiu ĉi speco devas vundi vian fratan koron…

(Mon cher ami, comment ma plume est-elle devenue un tyran pour toi. De la centaine de tes lettres, je peux conclure que des annonces de ce genre doivent blesser ton cœur fraternel…)

En 1887, Zamenhof publie Langue Internationale, où il décrit l'espéranto comme on le connaît aujourd'hui. Dans une lettre adressée à Nikolaï Borovko, il écrit : J'ai travaillé durant six ans à perfectionner et essayer la langue, ce fut en 1887 qu'elle me parut complètement prête.

Étude de la langue

Première page du manuscrit de Zamenhof sur la Lingvo universala.

Alphabet

L'alphabet comporte toutes les lettres suivantes : a á b c ć d dź e é f g h ħ i j k l m n o ó p r s ś t u ŭ v z ź.

Prononciation

La Lingvo universala a les mêmes phonèmes que l’espéranto[13]. Pour Kiselman, l’accent tonique est, comme en espéranto, porté sur l’avant-dernière syllabe, sauf pour trois des six formes verbales, pour lesquelles l’accent tombe sur la dernière syllabe[13].

Étymologie

Classes grammaticales

Mots-simples

Accusatif

Pronoms

Pronoms Singulier Pluriel
1re personne mo no
2e personne to vo
3e personne masculine ro, śo po
3e personne réflexive so
o

Notes et références

Notes

  1. Dans son article Variantoj de esperanto iniciatitaj de Zamenhof, Christer Kiselman évoque le gymnasium de Białystok. Bien que Louis-Lazare Zamenhof y soit né, la famille Zamenhof a déménagé vers Varsovie en 1873.
  2. La traduction du dernier vers donnée par Zamenhof est « unuiĝi devas ». Toutefois, des traductions proposées par d’autres espérantistes existent. Ainsi, Gaston Waringhien propose « unuigi sin devas » et André Cherpillod propose « Kununuigi sin devas ».
  3. a et b Dans son analyse, Christer Kiselman ne mentionne pas la lettre ĝ comme étant absente. Toutefois, elle n’apparait pas dans l’hymne.

Références

  1. Kiselman 2011, p. 49-50.
  2. (eo) Marjorie Boulton, Zamenhof: Aŭtoro de Esperanto, Barlaston, Esperanto-Asocio de Britio, (1re éd. 1962) (ISBN 978-0-902756-37-3), p. 20
  3. (eo) Aleksander Korĵenkov, Homarano: La vivo, verkoj kaj ideoj de d-ro L. L. Zamenhof, Kaliningrad et Kaunas, Sezonoj et Litova Esperanto-Asocio, coll. « Scio » (no 8), , 2e éd., 360 p. (ISBN 978-609-95087-4-0), p. 79
  4. a b c d e f g h et i Kiselman 2011, p. 50.
  5. Isaj Dratwer (trad. Maria Ziółkowska), Le Docteur Esperanto, Marmande, Éditions française d'Espéranto, p. 42Voir et modifier les données sur Wikidata
  6. Kiselman 2011, p. 47.
  7. Kiselman 2011, p. 49.
  8. a b c d e f g h i j k et l Waringhien 1989, p. 38.
  9. a b c d e f g h i j k l m et n Kiselman 2011, p. 51.
  10. Kiselman 2011, p. 50-51.
  11. a b c d e f g et h Waringhien 1989, p. 39.
  12. Kiselman 2011, p. 52.
  13. a et b Kiselman 2011, p. 53.

Voir aussi

Bibliographie

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